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« Hong Kong, révolutions de notre temps » : une île écartelée

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

La collection « Encrages » des éditions Delcourt accueille Hong Kong, révolutions de notre temps, des scénaristes Lun Zhang et Adrien Gombeaud et du dessinateur Ango, qui a vécu sur place. Ensemble, ils narrent l’Histoire récente de cette île à la fois si proche et si éloignée de la Chine continentale, qui cherche régulièrement à y exercer son emprise…

Un bref détour historique le rappelle. L’ancrage de Hong Kong en tant que colonie britannique a commencé à la fin de la Première Guerre de l’Opium (1839-1842) entre la Grande-Bretagne et la Chine de la dynastie Qing. Le traité de Nankin, signé en 1842, a cédé ce territoire, aujourd’hui parmi les plus densément peuplés au monde, à la Grande-Bretagne. En 1860, à la fin de la Deuxième Guerre de l’Opium, Londres a acquis les territoires de Kowloon et de Stonecutter’s Island en vertu du Traité de Pékin. Et en 1898, elle obtenait un bail de 99 ans sur les Nouveaux Territoires, ce qui signifiait une administration de Hong Kong jusqu’en 1997.

Après la Seconde guerre mondiale, l’île est devenue un important pôle industriel, puis un centre financier international, caractérisé par un port majeur, un paysage saturé de gratte-ciel et quelques réussites économiques dans le domaine technologique. Le « made in Hong Kong » inonde alors les marchés mondiaux. Le « miracle de Hong Kong » est en marche ; il voisine avec celui de la Corée du Sud ou de l’Indonésie. Mais le temps passe et la perspective de voir la Chine communiste reprendre la main sur l’île devient de plus en plus tangible. Leslie Cheung, une superstar de la musique et du cinéma, se suicide dans un geste de désespoir qui va profondément affecter la population locale et qui peut être appréhendé, avec le recul, comme un moment symbolique de rupture.

Car comme le rappellent les auteurs, en 1997, la Grande-Bretagne restitue Hong Kong à la Chine selon le principe « un pays, deux systèmes », garantissant l’autonomie de Hong Kong pendant 50 ans. Carrie Lam, future cheffe de l’exécutif de Hong Kong, devient une figure clé de cette période de transition et de l’administration post-rétrocession. Depuis lors, Hong Kong a connu plusieurs mouvements de protestation majeurs, sur lesquels cet album revient abondamment. En 2014, le mouvement des parapluies a éclaté en réponse à une décision du gouvernement chinois sur les réformes électorales à Hong Kong. Joshua Wong, un militant pour la démocratie, a alors émergé comme une figure de proue du mouvement.

Plus récemment, en 2019, des manifestations de masse ont eu lieu en réponse à un projet de loi sur l’extradition qui aurait permis le transfert de fugitifs à la Chine continentale. Le risque était grand de voir la justice chinoise, aux mains du pouvoir communiste, faire son œuvre sous des prétextes fallacieux à Hong Kong. Le projet a certes été retiré, mais les manifestations ont évolué en un mouvement plus large pour plus de démocratie et moins d’ingérence de la Chine. Hong Kong, révolutions de notre temps inscrit très bien le sens de la contestation et la quête de liberté au cœur de ce territoire-confetti marqué par des vagues d’immigrations successives et l’influence prégnante des Britanniques.

L’économie de Hong Kong a en tout cas considérablement évolué au cours de son histoire, passant d’un petit port de pêche à un centre industriel puis financier majeur. La libéralisation de l’économie et l’ouverture au commerce international ont même permis à Hong Kong de servir de modèle pour la réforme économique chinoise depuis la fin des années 1970. Mais la transition de Hong Kong vers un système plus démocratique a été houleuse et sanctionnée de tensions significatives. La préservation de l’autonomie et des libertés de l’île est devenue un symbole majeur pour les habitants comme pour les observateurs internationaux.

Un yuen yeung

Comme le yuen yeung, boisson locale mélangeant les saveurs de thé et de café, Hong Kong présente une dualité partagée entre élans occidentaux et racines sino-asiatiques. Des gratte-ciels modernes reflétant l’avenir aux temples séculaires empreints de tradition, de l’anglais couramment parlé aux signes indélébiles de la Chine continentale, Hong Kong incarne un singulier mariage de l’Orient et de l’Occident, un syncrétisme qui lui confère une identité propre et unique en son genre.

L’île est une toile sur laquelle se sont inscrites des vagues d’immigration successives, des réfugiés de la Chine communiste aux survivants de la guerre du Vietnam, créant de ce fait une mosaïque humaine riche de diversité et de résilience. L’héritage britannique de Hong Kong se retrouve dans l’architecture coloniale, l’éducation ou encore les institutions juridiques et politiques. Mais il apparaît encore plus profondément ancré dans l’aspiration à la liberté et à la démocratie qui pulse dans le cœur de ses habitants. Cet état de fait est martelé tout au long de l’album. Et les auteurs de souligner que Chris Patten, le dernier gouverneur britannique, a profondément marqué l’identité du territoire.

Funambule sur le fil de l’histoire, Hong Kong jongle habilement avec deux mondes. La première génération de Hongkongais post-colonialisme en est peut-être plus consciente encore : leur île n’est ni la Chine ni le Royaume-Uni, mais quelque chose d’autre, de nouveau, de libre. C’est une entité dont l’identité est constamment redéfinie et réinventée, où le passé et le présent s’entrelacent de manière passionnante. Comme le yuen yeung, cette boisson locale si prisée, Hong Kong est une pluralité contradictoire et complexe, une fusion de cultures et d’idées. Cela, Hong Kong, révolutions de notre temps l’énonce très bien.

Hong Kong, révolutions de notre temps, Lun Zhang, Adrien Gombeaud et Ango
Delcourt, mai 2023, 120 pages

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