Heureux qui comme Ugo a fait un long voyage…

Ugo Saint-Germain est un Canadien qui passe son temps à voyager et qui vit de cette activité. En effet, il rédige des sortes de guides touristiques exploitant ses expériences à travers le monde. C’est ainsi que l’armateur (grec évidemment) Aristote Panagoulis, l’a engagé pour réaliser un compte-rendu de la croisière Odyssée 21 qu’il organise à bord d’un bateau de luxe.

Baptisé L’Amphitrite (du nom de l’épouse de l’armateur, mais aussi de l’épouse de Poséidon, le dieu grec des mers), le bateau en question est commandé par le capitaine Dimitriou Stratopoulos. Les passagers (tous présentés planche 22) sont vingt-six, ce qui représente davantage de membres d’équipage (tous présentés planche 23), que de passagers (groupe très cosmopolite). Les auteurs jouent sur les noms pour amener quelques références. On note ainsi que l’argentin s’appelle Del Potro (comme le tennisman) et qu’une américaine s’appelle Coen (comme les frères cinéastes). L’idée d’Aristote est de proposer une croisière retraçant aussi fidèlement que possible l’itinéraire d’Ulysse tel qu’Homère le décrit dans L’Odyssée. Pour ce faire, il compte sur Athéna Skiras, une amie grecque qui jouera le rôle de conférencière. Grâce à tous ses échanges avec Ugo et Aristote, nous en apprendrons suffisamment pour profiter de cet album sans avoir besoin de connaissances particulières sur l’œuvre d’Homère. D’autres références sautent aux yeux, avec des allusions au personnage de Tintin, autre grand voyageur de la BD. Les tintinophiles apprécieront quelques détournements de couvertures des albums de la série et feront le rapprochement avec le style graphique de Réal Godbout (coscénariste avec Robin Bourget-Godbout).

Vie de famille

Ugo fait la connaissance de la plupart des passagers de l’Amphitrite, mais il manque un peu d’inspiration pour relater ce qui se passe à bord. À vrai dire, pas grand-chose de vraiment original. Du coup, il se pose dans sa cabine (très confortable) et utilise son ordinateur portable pour reprendre contact avec Patricia, sous ex-épouse restée au Canada à qui il n’a pas écrit depuis plusieurs mois. Depuis le départ d’Ugo (plusieurs années déjà), Patricia a refait sa vie, avec un homme que Théo (fils de Patricia et Ugo) ne supporte pas. On comprend rapidement pourquoi, ce qui explique aussi que Patricia apprécie ses échanges avec Ugo. Elle lui explique que Théo maintenant adolescent réclame à nouveau son père, alors qu’il a longtemps fait comme si celui-ci n’existait plus. Même si cette partie apporte un vent de fraicheur avec le parler canadien, elle nuit un peu à la progression de l’intrigue, l’abondance de texte faisant craindre que la BD tourne au roman illustré. L’objectif des auteurs est évidemment de mettre Patricia dans le rôle de Pénélope, ce qui laisse entrevoir quelle devrait être l’issue de l’aventure de Théo.

Ambiance bizarre

L’événement le plus notable met en avant les penchants peu glorieux du fils d’Aristote, un colosse de plus de deux mètres aux élans quasi incontrôlables. Alors, Ugo se rapproche d’Athéna, avant leur première étape qui mène l’Amphitrite d’Istanbul vers le site de l’antique cité de Troie. Même si le site mérite le détour, Ugo reste un peu dubitatif sur tout ce qu’il observe. L’ambiance au sein du groupe des voyageurs tire plutôt vers la détente animée par Solange, une ancienne animatrice du Club Med (dixit Ugo) qui en apporte l’esprit (résumé par cette phrase « ON FAIT LA FETE ! ») au grand dam d’Ugo et Athéna. On est loin de la sensibilité poétique de Joachim Du Bellay ! Les conférences d’Athéna, bien que de qualité, remportent un succès mitigé. Ugo sent que tout cela cache quelque chose. D’ailleurs lui-même se rapproche de Teresa, nigériane gérante des Sirens (trois danseuses) qui lui tombe dans les bras sans qu’il ait rien calculé…

L’Odyssée d’Ugo

Bien qu’affichant la cinquantaine (crâne commençant à se dégarnir), une silhouette légèrement voûtée et la barbe de celui qui ne se soigne plus trop (à l’image de son éternelle veste défraichie), Ugo a donc du succès auprès des femmes. D’ailleurs, un épisode rappelle celui du chant des sirènes dans L’Odyssée. Les péripéties se succèdent et, le périple Odyssée 21 initialement prévu comme une sorte de pèlerinage, tourne plutôt à la parodie de L’Odyssée, mettant en évidence les valeurs bien futiles du monde d’aujourd’hui. Cela ressort particulièrement avec les évocations du monde antique, qui nous valent des dessins dans le style de ce qu’on observe sur les vestiges de type vases, frises, etc. (représentées ici dans un noir et blanc sur fond brique clair, très élégant).

Les vivants et les morts

À l’image du manque d’inspiration d’Ugo, on peut dire que l’intrigue est lente à se mettre en place. Pour un album de 187 planches (au format à l’italienne), on pouvait espérer davantage de péripéties vraiment originales. D’ailleurs, si l’action finit par se dénouer, apportant du crédit à ce que pressentait Ugo (Ulysse, lui, se montrant plutôt rusé), la révélation des tenants et aboutissants de ce qui se tramait à bord de l’Amphitrite ne lui est révélée qu’en songe, permettant un bref lien entre les vivants et les morts (comme si ces révélations n’avaient qu’une importance relative) et rappelle que les Grecs imaginaient les morts vivant dans une sorte de monde parallèle à celui des vivants.

Heureux qui comme Ugo, Réal Godbout (dessin et scénario), Robin Bourget-Godbout (scénario), Dominique Bourget et Réal Godbout (couleur)
La Pastèque, janvier 2023
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