Les éditions Soleil publient Escobar, une éducation criminelle, de Juan Pablo Escobar et Alberto Madrigal. L’album, autobiographique, se penche sur l’enfance du fils du plus célèbre des narcotrafiquants.
Dans les années 80, le commerce de la drogue rapporte, chaque semaine, quelque 70 millions de dollars à Pablo Escobar. L’essentiel de ces profits provient des États-Unis, où le marché de la cocaïne est en plein essor. Juan Pablo, fils du célèbre narcotrafiquant colombien, grandit dans un monde d’opulence et d’excès, entouré de gardiens prévenants, qu’il qualifie de « nounous ». Ces hommes et femmes à l’apparence affable sont en réalité doublés d’effroyables assassins, prêts à toutes les ignominies pour contenter leur patron. C’est cette enfance douce-amère, où la tendresse cohabite avec le crime, que Juan Pablo conte dans Escobar, une éducation criminelle.
Il le confesse en fin d’album : le fils, scénariste, a eu toutes les peines du monde à cacher le père sous le tapis. L’expression est certes exagérée, mais l’idée est bel et bien là : raconter certaines péripéties d’une enfance qui n’a rien d’ordinaire sans en revenir constamment à Pablo Escobar. Son ombre, omnipotente, plane sans cesse sur les faits et gestes des « nounous », mais c’est bien ces hommes de main qui tiennent le haut du pavé. Présentés successivement au cours du récit, ils se constituent de La Gâchette, Samuel Latuca, Ricardo Amargo, Luis Mandarina, Jairo El Poeta, la Noiraude ou encore l’Oreille. Il y a là des toxicomanes, des introvertis, des imbéciles, de fins observateurs, des ambitieux, des jaloux, des meurtriers de sang froid, mais tous en commun leur attachement à Juan Pablo et leur dévouement envers son père Pablo.
Escobar, une éducation criminelle se leste d’une ambiguïté tout entière condensée dans les souvenirs duaux de Juan Pablo. La Gâchette, dont la mort forme le cœur battant de l’histoire, est symptomatique de cette équivocité. Capable d’abattre froidement un homme en se portant à sa hauteur sur sa moto, il pleure en revanche la mort du chien errant qu’il écrase dans la foulée. Un lien gardé secret le lie à Latuca, ce qui rappelle le caractère abject et hypocrite de ces cercles gorgés de violence et de non-dits. Si cet état de fait transparaît dans l’album, il est contrebalancé par le regard autobiographique de Juan Pablo Escobar, qui ne dissimule rien de son affection pour cette collection de gueules cassées (souvent littéralement, puisque l’un est borgne, l’autre entièrement refait, etc.).
Comment ne pas songer que la famille Escobar et ses soutiens vivaient en quelque sorte dans un monde parallèle, hors du temps et de l’espace ? L’artificialité de cette vie dopée à la cocaïne et aux liasses de dollars n’est contrariée que par les attentats et les dangers qui menacent, de manière régulière, leur quotidien. Juan Pablo revient sur quelques-uns de ces épisodes, éminemment traumatiques, surtout quand ils sont vécus par un enfant. Les planches aérées, la construction narrative en flashbacks et le point de vue adopté, de recul temporel et d’engagement émotionnel, confèrent toute sa saveur à l’ouvrage, qui se ponctue d’une postface avec des archives photographiques et médiatiques.
Escobar, une éducation criminelle, Juan Pablo Escobar et Alberto Madrigal
Soleil, avril 2023, 136 pages