Projet collaboratif original et initié de longue date, Duo, qui paraît aux éditions Glénat, repose sur 57 binômes exceptionnels et internationaux. Des artistes provenant de tous horizons (animation, bande dessinée, illustration, jeu vidéo, presse…) partagent à chaque fois une double page avec un.e homologue, la diversité et complémentarité des styles contribuant à façonner des œuvre uniques, cohérentes ou graphiquement hybrides, souvent poétiques et toujours porteuses de sens. Un artbook tout en horizontalité, visuellement sublime, dont les bénéfices seront reversés à l’association Epic, active en faveur de la jeunesse et de l’environnement.
Des duos arrangés ou spontanés, des visions personnelles qui se complètent et se conjuguent, des techniques, parentes ou non, fondues ou mises en miroir dans une même unicité, des couleurs répondant au noir et blanc, des traits fins à des rondeurs, l’encrage au crayonné, l’aquarelle au feutre… Instigateurs de cet ouvrage pour le moins original, les illustrateurs Gérald Guerlais et Sébastien Mesnard organisent des dialogues artistiques et stylistiques caractérisés par leur inventivité et leur pluralité, et impliquant des dessinateurs tels que Kim Jung Gi, Paul Mager, Alexandre Day, Clotilde Perrin ou encore Juanjo Guarnido. Duo a quelque chose qui tient du cadavre exquis, les angles morts en moins, la concordance des créativités en plus. Peu conventionnel, il se révèle en revanche magnifique et fascinant. La superposition des regards, des gestes et des sensibilités, la volonté des uns d’augmenter ou de faire écho aux propositions des autres, la rupture, la problématisation ou la prolongation née de deux visions distinctes : tout participe à la richesse d’un artbook foisonnant de détails et de sophistications.
Trois exemples suffisent à attester de la pertinence d’une telle démarche. Amélie Fléchais et Nicolas Duffaut échafaudent deux protagonistes principaux antithétiques : la première recourt aux teintes vertes et aux motifs naturels là où le second privilégie les couleurs jaune et rouge, ainsi que les totems urbains et industriels. D’un côté, des oiseaux se posant sur des branches dégarnies, de l’autre des protagonistes secondaires aux têtes remplacées par des écrans de télévision ou des cheminées fumantes. Plus loin, Sébastien Mesnard portraiture des monstres burtoniens, à traits fins, en noir et blanc, pris pour cibles par les couleurs que leur adressent les enfants colorés, enjoués et débonnaires de Céline Gobinet. Dernier exemple : ce pique-nique quasi magrittien, jouant des oppositions et substitutions, jour/nuit, soleil/lune, rose/bleu, champignon/arbre, papillon/étoile, chaperon rouge/loup, princesse/sorcière… Florence Guittard et Coralie Vallageas font à la fois œuvre de mimétisme et d’antagonisme dans une double page onirique et portée à hauteur d’enfant.
Tout Duo repose sur les mêmes principes. Quand l’animateur Rodolphe Guenoden occupe le côté gauche d’une double page en se focalisant sur la répression de policiers en action, l’artiste de développement visuel Christophe Lautrette complète l’espace de droite en lui conférant des couleurs et en mettant en scène des musiciens manifestement peu concernés par ceux qui les pourchassent. Loïc Jouannigot et Paul Mager investissent un tableau où les lapins décharnés de l’un font les frais des facéties enneigées de l’autre. Adolie Day et Maly Siri se complètent presque parfaitement, un peu comme le yin et le yang, un yin se réclamant de la caricature et un yang du réalisme. À d’autres occasions, les apports des artistes s’amalgament de manière si homogène qu’on peine à distinguer ce que l’on doit à l’un et à l’autre. Mais dans tous les cas, la fusion ou la résonance de deux propositions artistiques particulières donne lieu à un exploration riche et passionnante. On n’en attendait pas moins.
Duo, ouvrage collectif
Glénat, octobre 2022, 160 pages