Dans Deux sœurs, roman graphique publié aux éditions Bamboo, Isabelle Sivan et Bruno Duhamel se livrent à une véritable étude de caractères. Leur récit rend compte des rancœurs et relations conflictuelles entre deux sœurs. Lise et Camille, qui partagent une même maison, coupée en deux, vivent en effet selon des principes diamétralement opposés.
La symétrie est au cœur de Deux sœurs. Il y a d’abord cette maison, scindée en deux, symbole de la dichotomie existant entre Lise et Camille. Il y a ensuite ces planches parfaitement découpées, où elles évoluent en vis-à-vis et expriment leur animosité plus ou moins cordiale l’une envers l’autre. Lise, dynamique et carriériste, en poste dans la finance, incarne l’esprit compétitif et matérialiste de notre société, tandis que Camille, prof et musicienne, adopte une vision plus bohème et spirituelle de la vie. Cette division de tous les instants est un mécanisme narratif efficace, qui souligne une coexistence sous un même toit rendue difficile par des dissonances idéologiques et émotionnelles.
Lise reproche à sa sœur de « saturer l’espace ». Elle aimerait pouvoir se détendre et méditer, mais la musique qui lui parvient de l’autre côté des murs l’empêche de se concentrer. Ce n’est pas tout, puisqu’elle reproche à Camille et ses amis leurs stéréotypes sur son mode de vie : « Dès que tu gagnes bien ta vie, nécessairement, pour tes intellos gauchistes, tu fais partie du grand capital ! » Ces effets de symétrie et joutes verbales servent à asseoir le postulat d’Isabelle Sivan et Bruno Duhamel : les deux sœurs ne se comprennent pas et ne parviennent, souvent, même plus à communiquer.
Problème, une lettre recommandée leur annonce, à toutes les deux, que la maison qu’elles partagent va bientôt être mise en vente. Sans une offre de leur part, elles devront plier bagage et se reloger ailleurs. Est-ce une opportunité de vivre enfin en pleine autonomie, sans les désagréments associés à la présence de l’autre ? Ou le point de départ d’une relation nouvelle, bâtie sur l’entente consensuelle et le respect mutuel ? Deux sœurs trouve son équilibre sans recourir à aucune de ces deux solutions.
C’est évident, les thèmes de l’orgueil, de la jalousie et de la rivalité se trouvent au cœur de l’album. La décision du propriétaire de vendre la maison devient le catalyseur qui oblige les deux sœurs à confronter non seulement leur relation, mais aussi, et surtout, leur passé commun. Ce moment de crise révèle les profondeurs cachées de leur lien, souvent occultées par leurs disputes superficielles. Ainsi, en revisitant les souvenirs d’enfance et les vestiges de leur histoire familiale, Lise et Camille commencent à percevoir les fils invisibles qui les unissent.
Isabelle Sivan et Bruno Duhamel donnent à voir une prise de conscience tardive mais cruciale : malgré leurs divergences, on assiste à une diminution de l’hostilité et à une augmentation de la compréhension mutuelle. Le récit, tout en évitant un dénouement trop idéalisé ou simpliste, suggère une évolution vers une coexistence plus harmonieuse.
Deux sœurs explore avec finesse les thèmes de la dualité, de la rivalité et de la réconciliation. Le roman graphique renvoie à nos propres tentatives de concilier l’individualité et le lien familial, entre l’affirmation de soi et la compréhension de l’autre. C’est cette ligne cardinale qui fait figure de colonne vertébrale. Avec succès.
Deux sœurs, Isabelle Sivan et Bruno Duhamel
Bamboo, janvier 2024, 72 pages