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« Comme un oiseau dans un bocal » : sur les HPI et les préjugés qui les entourent

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Delcourt publient Comme un oiseau dans un bocal – Portraits de surdoués, de la scénariste et dessinatrice Lou Lubie. Comme elle l’avait précédemment fait avec la cyclothymie à l’occasion de Goupil ou face, cette dernière déconstruit une particularité neurologique et la met à portée de son lecteur, pour en démystifier les tenants et les aboutissants.

Le Haut Potentiel Intellectuel (HPI) voit s’entremêler des facteurs biologiques, environnementaux et personnels. Cette complexité explique que les méandres cognitifs des individus HPI se dérobent souvent aux regards des profanes, qui s’arrêtent alors volontiers à quelques clichés quand il s’agit de mettre une étiquette sur ces personnes.

Le berceau de cette distinction intellectuelle réside, en partie, dans les réseaux sinueux du cerveau. Les individus HPI sont dotés d’une structure cérébrale qui favorise une pensée plus vive et divergente. Les connexions neuronales se tissent avec une célérité et une densité singulières et cette vivacité cérébrale engendre en retour une pensée arborescente, qui s’irise en une myriade de possibilités. Pourtant, les conditions externes sont tout aussi déterminantes. Le terroir fertile d’un environnement familial encourageant, d’une éducation équilibrée, allié à des attributs personnels tels que la curiosité insatiable et une personnalité introspective, sont essentiels à la floraison de ces talents.

Une exceptionnalité intellectuelle à double tranchant

Comme un oiseau dans un bocal le verbalise avec sensibilité et maestria. À l’image d’un astre irradiant avec un peu trop d’éclat, le cerveau HPI peut parfois consumer l’individu de l’intérieur. Les troubles cognitifs, relationnels et émotionnels sont des compagnons fréquents de ces esprits brillants, engendrant un sentiment d’inadaptation, une incommunicabilité relative, des incompréhensions avec ceux qu’il faut bien nommer les « normopensants ». Ce qu’ils peuvent gagner en intuition et en capacité d’apprentissage, les HPI le perdent parfois – pas toujours – en relations sociales.

C’est ainsi notamment que se forge le « faux-self » présenté dans son album par Lou Lubie. Il s’agit d’une armure métaphorique, un subterfuge sophistiqué visant à atténuer la singularité de l’individu HPI pour se fondre dans le courant majoritaire. Loin d’être un simple accoutrement, cette carapace peut devenir une seconde peau, une façade sociale qui altère la perception de soi. Quand cette seconde peau n’est pas suffisamment souple, elle occasionne son lot de souffrances.

Avec beaucoup de poésie et une vraie faculté à vulgariser son objet d’étude, Lou Lubie examine la trajectoire de vie de deux individus HPI. Force est de constater que ce n’est pas toujours une route bien tracée, bordée de lauriers. Elle ressemble plutôt à un chemin tortueux, accidenté, ponctué d’obstacles imprévus et de rebondissements. La place singulière qu’occupent les « surdoués », en tant que 2,2% de la population aux capacités cognitives exceptionnelles, est à la fois un privilège et un défi.

Une longue histoire

Le Quotient Intellectuel (QI), bien que crucial dans l’identification des HPI, n’est pas un marqueur infaillible. Il s’agit d’une mesure relative, susceptible d’être influencée par diverses circonstances. Les pionniers du test de QI, Lewis Terman, Charles Spearman et David Wechsler, ont tous trois contribué à la conception et l’amélioration de cet outil, dont les limites et la nécessité d’une évaluation holistique sont parfaitement énoncés dans Comme un oiseau dans un bocal.

Il convient par ailleurs de noter l’existence de deux types de profils au sein des HPI, les profils laminaires et les profils complexes. Les premiers illustrent une intelligence harmonieusement distribuée, tandis que les seconds affichent une hétérogénéité de compétences, des pics et des creux.

Mais c’est dans l’abondance, dans le tourbillon incessant de pensées, de questions et d’émotions, que l’on trouve l’un des défis les plus titanesques des HPI. Tout semble amplifié, comme un orchestre symphonique jouant à pleine puissance dans l’esprit. Ce déluge cognitif et affectif peut être aussi déroutant que stimulant, car il offre une perspective multidimensionnelle et profonde du monde, mais peut également engendrer un sentiment d’aliénation.

Cette complexité cognitive, sur laquelle revient abondamment Lou Lubie, est éclairée par les concepts d’intelligence fluide et d’intelligence cristallisée. La première reflète la capacité à résoudre de nouveaux problèmes, à établir des connexions et à percevoir des patterns. La seconde se rapporte aux connaissances acquises et à leur utilisation, tels des cristaux taillés au fil du temps.

Un album important

De bout en bout de son album, Lou Lubie aborde le sujet des surdoués avec une sensibilité rare, dévoilant les coulisses de leur existence à travers des anecdotes évocatrices et une pédagogie remarquable. Son travail nous permet d’embrasser le point de vue de ces êtres d’exception, d’apprendre à les comprendre sans jugement, avec bienveillance, en déconstruisant les clichés et en y apportant ce qu’il faut de nuances. Comme l’oiseau dans son bocal, ces surdoués sont à la fois empêchés, prisonniers et en rupture avec un environnement inadapté. Mais attention, ceci reste trop réducteur, car comme le rappelle à dessein Lou Lubie, HPI n’équivaut pas forcément à problèmes.

Comme un oiseau dans un bocal – Portraits de surdoués, Lou Lubie
Delcourt, septembre 2023, 184 pages

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