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« Chapatanka » : une petite ville sans histoires…

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Publié aux éditions Fluide Glacial, Chapatanka réunit Jocelyn Joret et B-gnet le temps d’un récit hautement référencé. En prenant pour cadre une petite ville fictive, cette bande dessinée revisite la culture américaine tout en offrant un récit décalé et une satire pleine de finesse. Maddie Edwards, la shérif-romancière de Chapatanka, incarne à elle seule ce mélange de normalité et d’absurdité qui fait tout le sel de l’œuvre.

Chapatanka, cette prétendue « petite ville sans histoire », pourrait ressembler à tant d’autres bourgades de l’Amérique profonde… du moins en surface. Car dans ce décor faussement paisible, Maddie Edwards, shérif en quête d’inspiration pour son roman, observe et interprète à sa manière les événements dramatiques qui se déroulent sous ses yeux. Tandis que les habitants vaquent à leurs occupations, les affaires criminelles s’amoncellent et la réalité dépasse rapidement la fiction.

Chapatanka puise beaucoup de ses effets comiques dans cette double lecture : un quotidien en apparence banal mais où chaque situation s’avère plus invraisemblable que la précédente. La cheffe de la police, par exemple, est davantage préoccupée par sa carrière littéraire (aux aspirations très changeantes) que par ses enquêtes. « Une disparition ! C’est super pour mon livre ça ! », s’exclame-t-elle, avant de lancer à un témoin : « N’omettez aucun détail ! C’est important pour mon roman. »

B-gnet signe un scénario truffé de références aux grands classiques du cinéma américain, de Shining à Rambo en passant par La Nuit des masques ou Massacre à la tronçonneuse. Chaque page est un clin d’œil complice aux amateurs de cinéma, et le détournement de toutes ces références en ressorts comiques fonctionnent très bien. Les reliefs humoristiques proviennent aussi du pathétisme des personnages et, parfois, de leurs tirades. « On a voulu les perdre dans la forêt… mais on voulait pas qu’elles meurent ! », avancent les parents de jumelles disparues. « Tirons-nous d’ici avant que le malade qui a fait ça nous tombe dessus ! », suggère la shérif un peu plus tard…

On comprend très vite dans quoi on met les pieds. Les enquêtes débutent comme des gags. « Appel à toutes les unités ! Est-ce que quelqu’un peut prendre du café et des donuts ? » Et elles finissent invariablement comme une source d’inspiration pour Maddie Edwards, qui finira même par imaginer se lancer dans un livre pour enfants, un essai sociologique ou un guide de balades… L’intrigue se déploie ainsi en une série d’arcs narratifs où chaque épisode se veut plus rocambolesque que le précédent. Que ce soit face à un crocodile géant – « Ça tombe bien, j’ai besoin d’un nouveau sac à main ! » – ou face à un randonneur traumatisé par un trek avorté au Vietnam, Maddie Edwards est toujours à l’affût d’une nouvelle idée.

Avec Chapatanka, B-gnet et Jocelyn Joret offrent une œuvre rafraîchissante et pleine de vitalité, qui joue avec les attentes du lecteur tout en distillant une certaine idée de l’absurde et du grotesque. Les références culturelles, parfois très explicites comme dans l’arc final autour de Shining et de l’Overlook, ne sont jamais gratuites : elles viennent enrichir le récit et permettent de mieux apprécier les doubles fonds d’une œuvre en apparence légère.

Chapatanka, B-Gnet et Jocelyn Joret
Fluide glacial, août 2024, 56 pages

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3.5
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