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« Carnet de prison » : au-delà des idées reçues

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Steinkis publient Carnet de prison, de Galien. Ce dernier raconte son expérience derrière les murs de la maison d’arrêt de Caen, où il a animé, dans des conditions parfois difficiles, un atelier de dessins.

C’est un secret de Polichinelle : les prisons constituent des environnements éprouvants, où les privations et les souffrances sont légion. À peine a-t-il esquissé la topographie des lieux que Galien en souligne les bruits, les odeurs et les regards indiscrets – tant humains que technologiques. Comme partout ailleurs, les cellules de la maison d’arrêt de Caen sont surpeuplées, laissant aux détenus peu d’espace, et encore moins d’intimité. S’il confesse avoir été pétri de préjugés issus de la fiction avant de prendre son poste d’animateur à Caen, Galien n’en sort pas moins conforté dans certaines idées, non pas liées aux détenus eux-mêmes, mais plutôt à leur expérience pénitentiaire.

Ainsi, en France, 17 % des détenus disposeraient de moins de 50 € par mois, alors que le coût mensuel minimum de la vie en prison serait de 200 €. Les détenus doivent donc faire preuve d’ingéniosité pour trouver un peu de réconfort au quotidien. 63 % des personnes condamnées à une peine de prison ferme sont réincarcérées dans les cinq ans. Cela montre à quel point le système pénitentiaire français a du mal à réinsérer dans la société ceux qu’il a condamnés. Les effets psychologiques de l’incarcération sont avérés, bien documentés, mais les délinquants sexuels souffrent en sus d’une stigmatisation associée à leur crime et de l’isolement ou des violences corollaires.

C’est dans ce contexte difficile que Galien a animé un atelier d’écriture dans la maison d’arrêt de Caen. Il raconte avoir été vu avec défiance à la fois par les gardiens et par les détenus, puisqu’il n’appartenait à aucun des deux « camps ». Son objectif était de créer un environnement sûr et sécurisé pour les détenus, dans lequel ils pourraient s’exprimer librement et sans crainte de jugement, par la voie du dessin. Carnet de prison énonce très bien le caractère libérateur et fédérateur du dessin, mais aussi tout ce qui découle de la réalité carcérale : des cours utilisés à des fins communautaires, des vols, des personnes qui se livrent avec sincérité, d’autres qui se referment sur elles-mêmes…

Les locaux vétustes, la circulation entravée dans la prison (le plan Vigipirate a eu pour effet de durcir encore un peu plus les contrôles), le manque de produits frais, le peu de moyens alloués aux loisirs… Si « les détenus se forgent une identité crépusculaire », c’est parce qu’on les enferme dans un caveau de désespoir où le temps se dilate et où les relations humaines se distendent. Galien revient longuement sur la place de la famille, seul accès vers l’extérieur (avec la télévision…), sur les regrets de certains détenus, sur le manque de discernement des autres. Il fait état des confidences des gardiens et s’épanche plus généralement sur une société qui a conditionné l’être à l’avoir, créant ainsi des frustrations potentiellement criminogènes. C’est l’ensemble de ces constats, transcrits avec sincérité et pudeur, qui fait de ce Carnet de prison un ouvrage précieux, utile et terriblement juste.

Carnet de prison, Galien
Steinkis, mars 2023, 160 pages

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