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« BRZRKR » : le guerrier immortel

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Se réappropriant et radicalisant le rôle qu’il tenait dans la tétralogie John Wick, Keanu Reeves donne naissance, en compagnie du scénariste Matt Kindt et du dessinateur Ron Garney, à « B », un personnage immortel lui ressemblant trait pour trait et capable d’infliger les pires horreurs à ses ennemis.

L’armée américaine a toujours disposé d’un arsenal dévastateur, à la pointe de la technologie. Dans BRZRKR comme dans Captain America ou X-Men avant lui, c’est un super-soldat qui vient asseoir sa supériorité. « B » est introduit sans détour : ses yeux s’illuminent étrangement, il saute dans le vide à la manière du Dark Knight et réduit en charpie – littéralement – tous ceux qui se mettent en travers de son chemin. Il y a évidemment beaucoup de John Wick dans la violence esthétisée de BRZRKR. Mais ici, tout est accentué, dans l’outrance et sans rivage. Le sang coule à larges flots, les mâchoires se désolidarisent des visages, les hommes sont assassinés à l’aide des membres qu’on leur arrache et une côte prélevée sur un cadavre peut être réemployée afin d’égorger ses alliés. Keanu Reeves, Matt Kindt et Ron Garney misent beaucoup sur leur sens du spectacle et de la démesure. Et si la mayonnaise n’avait pas si bien pris, ils courraient le risque d’un pathétisme affligeant.

Il y a un peu de Deadpool dans « B », le second degré en moins, la gravité en plus. Transpercé de toutes parts, soumis aux coups et aux brûlures, ce guerrier immortel de 80 000 ans continue de martyriser ses adversaires comme de rien n’était. Et à cette dimension iconique parfaitement servie par une mise en images très cinégénique, les auteurs ajoutent un mystère savamment entretenu sur les origines de Berzerker. Soumis à une batterie d’examens, interrogé par une spécialiste du gouvernement américain, « B » va peu à peu se remémorer son passé, douloureux et marqué du sceau de la barbarie. Ce premier tome de BRZRKR fait le récit de son enfance et verbalise l’utilitarisme y étant associé : vu avant tout comme le protecteur de sa communauté, « B » recevra de son propre père davantage d’affectations que d’affection. Ces liens filiaux contrariés contribuent à conférer de l’épaisseur au personnage, de même que les différents marchés qu’il a passés avec des régimes belliqueux au cours des siècles précédents.

L’énergie, les couleurs, la puissance visuelle, l’altérité : BRZRKR adopte des partis pris radicaux, dont certains ne manqueront pas de souligner le caractère bourrin. Les intentions des auteurs, en partie énoncées dans le dossier technique glissé en appendice de l’album, dépassent pourtant de loin la seule violence esthétisée. De la même manière que Nicolas Winding Refn l’exploite pour révéler les fêlures des hommes et de leur milieu, Keanu Reeves, Matt Kindt et Ron Garney adossent aux massacres perpétrés par « B » un palais mémoriel dégradé, une humanité en souffrance et des failles dont la béance est en passe d’être éventée par celle qui ausculte son esprit. L’apparat graphique est édifiant, le protagoniste en construction. On attend désormais la suite avec impatience.

BRZRKR, Keanu Reeves, Matt Kindt et Ron Garney
Delcourt, mars 2023, 144 pages

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