Retour sur quelques nouveautés marquantes en BD datées de mai et juin 2022. Au programme : Tony : L’Enfant des rivières, Les Minions (tome 5 et 6), Estampillage, Donald et la mission Jupiter ! et Little Katherine Johnson.
Tony : L’Enfant des rivières. Le sport est un vivier inépuisable d’émotions fortes. Il implique de la détermination, de la résilience, de l’abnégation et une émulation renforcée dès lors que la compétition se révèle ardue. Triple champion du monde de canoë monoplace, Tony Estanguet a une histoire sportive intimement liée à son histoire familiale. Son père, professeur de sport, a été son premier coach, ses grands frères, ses premiers modèles et rivaux. Enfant, il rêvait déjà d’égaler leurs performances, de naviguer sur les mêmes eaux qu’eux. Il enrageait de ne pouvoir leur emboîter le pas sous prétexte qu’il était encore trop jeune. Ce que l’on comprend à la lecture de ce premier tome intitulé « L’Enfant des rivières », c’est à quel point cette expérience précoce fut formatrice pour lui. Elsa Krim et Fred Campoy nous plongent dans la psyché du sportif, dont les sentiments sont verbalisés à la première personne. De son initiation au kayak à son entraînement au canoë en passant par sa rivalité avec le Slovaque Michal Martikan ou son duel face à son frère Patrice pour obtenir sa qualification aux JO de Sydney, Tony Estanguet se révèle par le menu dans cette première moitié de diptyque, à la fois intimiste et passionnante. Admirateur de Carl Lewis, travailleur acharné (tant sur le plan physique que mental), le céiste français nous est conté sous trois dimensions : la famille, le sport et leur relief psychologique. La collection « Coup de tête » des éditions Delcourt démontre une nouvelle fois à quel point les compétiteurs de haut niveau sont « bédégéniques ».
Tony : L’Enfant des rivières, Tony Estanguet, Elsa Krim et Fred Campoy
Delcourt, mai 2022, 64 pages
Les Minions (tome 5 et 6). En 2010, le film d’animation Moi, moche et méchant mettait sur le devant de la scène de petits bonshommes jaunes pratiquement indissociables les uns des autres et chapeautés par l’odieux Gru. Ces créatures à grosses lunettes et aux rondeurs enfantines vont rapidement prendre le pas sur les autres personnages du film, au point de bénéficier de leur propre franchise, et désormais de leur série en bande dessinée. Volontiers gaffeurs, s’exprimant dans un charabia caractérisé par l’alternance codique (de l’anglais, du français, de l’espagnol, de l’italien…), ces minions, sortes de taupes facétieuses, bénéficient désormais des traits (de crayon) de Renaud Collin et (d’humour) de Stéphane Lapuss’. En ce mois de juin 2022, les éditions Dupuis proposent deux nouveaux albums les mettant en vignettes, « Sporta Bikini » et « Mini Boss Kabuki ! ». Le premier exploite à foison le filon sportif et le comique de situation. On découvre ainsi nos héros jaunâtres tricher au football ou au hockey, mettre en danger la vie d’une sauteuse à l’élastique par négligence, transformer une voiture de course en bateau lors d’un arrêt au stand ou encore s’exercer au bowling en lançant vers les quilles… les traditionnelles chaussures fournies par les salles. Piètres sportifs, ils se révèlent en revanche extrêmement inventifs, y compris lorsqu’il s’agit de mettre à mal les efforts de remise en forme de ces ménagères s’époumonant péniblement à la gym’. Cet humour bon enfant se retrouve abondamment dans « Mini Boss Kabuki ! », où le cadre s’élargit et où les situations comiques apparaissent par conséquent plus variées. On y découvre petit Gru, dont la vie – et les nuits ! – sont phagocytées par les minions. Malentendus (le camion de glace), excès (les tricheries à l’école), réconfort (la course automobile) caractérisent la relation entre le futur méchant et ses petits sbires jaunes, en l’état davantage tyrans que petites mains. Sur une ou deux planches, avec ou sans Gru, les minions ne cessent de se conjuguer au pathétisme et à l’absurde : on imprègne un canapé de café dans l’espoir de masquer une petite tâche (et d’échapper ainsi au courroux féminin), on creuse un trou afin de récolter la terre nécessaire pour en reboucher un autre quelques centimètres plus loin, on détourne une affiche de Jaws, on manie sans précaution le tuyau d’arrosage… Il est à noter que les deux albums, entièrement muets, conviennent au public le plus jeune.
Les Minions : Sporta Bikini, Stéphane Lapuss’ et Renaud Collin
Dupuis, juin 2022, 48 pages
Les Minions : Mini Boss Kabuki !, Stéphane Lapuss’ et Renaud Collin
Dupuis, juin 2022, 48 pages
Estampillage. Benjamin Le Boucher prend le parti du « détournement de fonds ». Il joint à des estampes en noir et blanc des commentaires absurdes, irrévérencieux, souvent inventifs, référencés et hilarants. Comportant une soixantaine de pages détachables, Estampillage emploie les dessins de Juan Cortada, Miguel de Cervantes, Jean de La Fontaine, Jane Austen ou encore Louis Figuier dans une mécanique de l’humour aussi simple qu’efficace : une estampe, une légende, la première mettant en scène des situations historiques ou quotidiennes, graves ou anodines, la seconde procédant à leur détournement sémiologique. « Yves avait toujours voulu être un rideau », précise-t-on ainsi sous l’image d’un pendu. « Julien commençait à se demander s’il ne s’était pas fait avoir en achetant sa vache sur Internet », glisse-t-on sous la représentation d’un homme observant, les bras posés sur les hanches, un cheval. « La première partie de chaises musicales fut catastrophique », annonce-t-on sous un tableau mettant en scène une lutte sociale et/ou politique. Benjamin Le Boucher y ajoute quelques jeux sur la langue française (« Donner c’est donner, repeindre ses volets ») et des allusions à des personnalités/phénomènes culturels célèbres telles que Guillaume Tell, les Pokémon ou Calvin et Hobbes. L’ensemble se lit d’une traite, avec délice, et exploite à foison le contraste entre l’estampe et ce qu’elle représente et la manière dont sa légende en détourne le sens. On en redemande !
Estampillage, Benjamin Le Boucher
Lapin, juin 2022, 60 pages détachables
Donald et la mission Jupiter !. Luciano Bottaro est une véritable institution en Italie. Disney lui doit notamment plus de 150 histoires, représentant en tout quelque 5000 pages. Les éditions Glénat lui rendent aujourd’hui un bel hommage, en rassemblant pour la première fois dans un même album plusieurs de ses récits. Mené tambour battant, mettant en scène Rébo, Donald, Daisy, Zantaf, Géo, la sorcière Hazel ou encore Dingo, Donald et la mission Jupiter ! vaut tant pour sa tonalité légère et ses gags bon enfant que pour la rondeur et la douceur de ses dessins. Tour à tour, le lecteur aura droit aux agissements sournois d’un chef de guerre de la planète Saturne, au tempérament colérique de Daisy, à Hazel tentant benoîtement de convaincre Dingo que les sorcières existent bel et bien ou encore aux aventures de Picsou dans un étrange vaisseau spatial. Au détour d’une scène ou d’une vignette apparaissent un pêcheur ayant travaillé dans un laboratoire d’astrophysique, des extraterrestres interrompus inopinément… par des coupures publicitaires ou encore Hazel confondue avec une représentante de commerce ou une réalisatrice de films. Choral, coloré et plus astucieux qu’il n’y paraît, Donald et la mission Jupiter ! mêle aventures et humour, sans temps mort ni fausse note. De quoi ravir les plus jeunes lecteurs.
Donald et la mission Jupiter !, Luciano Bottaro
Glénat, juin 2022, 184 pages
Little Katherine Johnson. Librement inspiré de la vie de Katherine Johnson – née Coleman –, cet album est le quatrième à prendre place dans la remarquable collection des éditions La Boîte à Bulles consacrée à l’enfance de génies ayant marqué l’histoire des idées, des arts et des sciences. Le scénariste et dessinateur William Augel explore trois dimensions pour portraiturer les jeunes années d’une figure importante de la communauté afro-américaine, mathématicienne ayant connu ses heures de gloire à la NASA. Ainsi, à la sphère familiale – ses parents, sa fratrie, sa poule Lucinda – s’ajoutent sa passion pour les mathématiques, qui contamine chaque récit, et son quotidien en Virginie occidentale, région alors encore fortement marquée par le ségrégationnisme. Dans des histoires brèves, d’une à trois planches, teintées d’humour et de curiosité, William Augel montre à quel point la jeune Katherine Johnson était déjà fascinée par les chiffres, qui l’aidaient à objectiver le monde environnant (et même lointain, puisque la lune se voit conviée plus souvent qu’à son tour). On découvre aussi, dans une veine plus amère, les interrogations de la fillette sur la ségrégation, sa couleur de peau, les activités exercées par son père – fermier et homme à tout faire – ou encore les relations entre les Blancs et les Noirs. L’auteur met notamment en scène Katherine et son frère imaginant des extraterrestres venus de la lune asservir les hommes blancs. Ils se demandent alors de quoi les Noirs pourraient se réclamer : « Y a quoi en dessous d’esclave ? » Bien ficelé, mettant à l’honneur les sciences et les mathématiques, Little Katherine Johnson comporte en outre une fiche biographique, des jeux divers et des énigmes faisant suite à plusieurs récits. De quoi occuper utilement les plus jeunes lecteurs.
Little Katherine Johnson, William Augel
La Boîte à Bulles, juin 2022, 80 pages