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« Batman/Spawn » : spectacle et confusion

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Le dernier crossover entre Batman et Spawn réunit deux géants des comics américains, Todd McFarlane et Greg Capullo. Riche en action et en graphismes époustouflants, l’album plonge les lecteurs dans une aventure complexe qui, malgré ses évidentes qualités artistiques, pâtit d’une narration quelque peu embrouillée.

Inutile de les présenter, Todd McFarlane et Greg Capullo sont deux figures emblématiques de l’univers des comics américains. Le premier, créateur de Spawn, a été impliqué dans la série Batman au cours des années 80. Le second a travaillé sur les deux séries et doit sa célébrité à ses narrations visuelles dynamiques et ses mises en planche innovantes.

L’histoire qui nous intéresse débute avec un Spawn revanchard, trompé par la Cour des Hiboux, qui s’emploie à l’opposer à Batman sous un prétexte fallacieux. Très vite, les deux protagonistes se rendent compte de la supercherie et s’unissent pour régler leurs comptes. Des éléments connexes, comme le collier de Martha Wayne et des portails inter-univers, introduisent une certaine complexité scénaristique. Et des références à des arcs narratifs antérieurs de Batman et Spawn – comme la figuration du Joker au masque de chair – ajoutent à la densité à l’intrigue, mais contribuent aussi à sortir de la représentation générique des deux super-héros (choix discutable) et à engendrer de la confusion pour les lecteurs, nouveaux comme initiés.

L’artwork demeure le point culminant de ce crossover, avec les dessins sophistiqués et sombres de Greg Capullo magnifiquement encrés par Todd McFarlane. Les mouvements, le travail d’iconisation, les scènes plus horrifiques font pleinement effet et la narration séquentielle est mise en avant avec des pages savamment construites qui guident habilement le regard du lecteur. De ce côté-là, il est difficile de faire la fine bouche. On tient ce qu’il se fait de mieux dans les illustrations comic books. Les principaux écueils tiennent plutôt, comme évoqué supra, à la complexité et l’opacité de l’intrigue. L’apparition d’un joker chronologiquement fixé, le complot qu’il semble organiser en sous-main (sans aucune forme d’explication) ainsi que la relecture arrangeante du passé de Bruce Wayne rendent l’histoire difficile à suivre, avec des éléments peu clairs et parfois même redondants.

C’est ce que beaucoup de critiques américains ont reproché à cette réunion pourtant si prometteuse. Bien que visuellement impressionnant, l’album a été vu par certains chroniqueurs comme un immense prétexte à la baston, sans que le scénario en apporte les motivations satisfaisantes. Ce jugement n’est pas sans fondement, mais doit cependant être nuancé. D’abord parce qu’effectivement, l’aspect graphique est proprement étourdissant. Ensuite parce que les zones d’ombre du scénario n’empêchent pas Todd McFarlane de caractériser avec finesse ses deux personnages et de les mettre en miroir, avec habileté, sur le plan des superpouvoirs. Enfin, les interactions entre ces deux mondes urbains et initiés par la douleur et le deuil semblent presque logiques, tant les similitudes thématiques et d’ambiance affleurent.

Batman/Spawn, c’est un mariage entre l’art enlevé de McFarlane et Capullo. C’est également une intrigue complexe qui, bien qu’ambitieuse, s’avère difficile à déchiffrer. Un peu comme s’il avait manqué quelqu’un au-dessus de l’épaule de McFarlane pour lui demander d’expliciter tel ou tel point. Mais malgré ces imperfections, le crossover demeure un ajout hautement recommandable à la bibliothèque des amateurs de comics. Ne serait-ce que pour ses qualités figuratives ou pour soutenir ces entreprises d’appariement épisodique. 

Batman/Spawn, Todd McFarlane et Greg Capullo
Urban Comics, novembre 2023, 176 pages

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