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Barrier : mystère à la frontière Texas-Mexique

L’édition française reprend le titre original Barrier parce qu’il se comprend tel quel, mais certainement aussi pour donner une première idée de ce que les protagonistes devront tenter de surmonter : la barrière du langage et le choc des cultures. Un comics original, jusque dans son travail éditorial !

Liddy est une jeune Texane, propriétaire d’une sorte de ranch. Elle parcourt à cheval de grandes étendues planes et arides. D’emblée, la question se pose : a-t-elle les épaules assez larges pour une telle charge ? Mais on va rapidement réaliser pourquoi elle se retrouve seule avec ces responsabilités.

Oscar

Le jeune homme veut fuir le Honduras pour une vie meilleure aux États-Unis. Pour cela, il cherche à passer la frontière mexicaine. On sait que les Américains surveillent cette frontière attentivement, pour limiter au maximum l’immigration clandestine.

Indices

Oscar et Liddy vont être amenés à se croiser dans des circonstances particulières. Liddy a fait des observations qui incitent à penser qu’on cherche à l’intimider, lui faire comprendre en quelque sorte que sa simple présence gêne un trafic et qu’il vaudrait mieux qu’elle quitte la région.

Incident de frontières

Au moment où Liddy tombe sur Oscar, la méfiance est à son comble. Il suffirait d’un geste malheureux ou d’une parole prononcée sur un ton légèrement agressif pour déclencher un drame irréversible. C’est à ce moment que les événements prennent une tournure totalement inattendue. La situation échappe à tout contrôle des protagonistes qui nagent en pleine confusion. Liddy et Oscar cherchent à comprendre ce qui leur arrive et plusieurs épisodes ouvrent la porte à diverses interprétations. Liddy et Oscar vont devoir se défendre par rapport à une agression beaucoup plus dangereuse que tout ce à quoi ils pouvaient s’attendre. Paradoxalement (ou logiquement), ce péril va les obliger à tenter une collaboration, alors qu’entre eux la communication est quasi impossible, puisqu’elle parle anglais alors que lui ne connait que l’espagnol.

Compréhension mutuelle

On tient avec cette barrière du langage une des clés annoncées de cet album particulièrement ambitieux. En effet, les auteurs ont fait le choix de placer leur lectorat dans la même situation que les protagonistes, puisque ceux-ci s’expriment naturellement dans leur langue d’origine. Bien entendu, puisqu’il s’agit d’une traduction, pour nous l’anglais devient du français, mais l’espagnol reste tel que dans la version originale. Outre le langage propre à la BD, on observe qu’un autre langage, totalement issu de l’imaginaire des auteurs, vient enrichir la donne (sans oublier un autre qui apparait brièvement à la fin). L’ambition affichée des auteurs (clairement annoncée sur la quatrième de couverture) est d’inciter les lecteurs à l’enrichissement culturel par la diversité et l’ouverture d’esprit. Pour apprécier tous les détails de ce comics, il faudrait ni plus ni moins assimiler au moins des rudiments d’espagnol pour comprendre ce qui se dit dans cette langue (ou au moins demander des traductions à l’aide d’un logiciel). N’étant pas hispanophone, je me suis néanmoins contenté d’une lecture classique. Il faut bien dire que si les situations permettent une compréhension approximativement, il faudrait effectivement y passer du temps pour saisir toute la teneur des échanges en espagnol. Quand on réalise l’immensité du travail accompli en trio sur ce roman graphique, on comprend que les auteurs aimeraient un minimum d’efforts de la part de leur lectorat. A chacun chacune de voir selon ses aptitudes, envies ou moyens du moment.

Un scénario d’une grande richesse

Autant dire que cette BD fourmille de détails bien pensés qui contribuent à l’architecture de l’ensemble. Conçu par Brian K. Vaughn, connu pour la série Y, le dernier des hommes, le scénario demande une réelle attention, car beaucoup de points sont révélés au fur et à mesure, maintenant un vrai suspense. À partir du moment où tout bascule (après le premier tiers environ), on se pose autant de questions que les protagonistes. Et de nombreuses séquences mériteraient plusieurs lectures, puisqu’il y a très certainement des souvenirs et des parties oniriques, voire des hallucinations et des projections de l’esprit en forme d’hypothèses sur ce qui peut se passer, comment et pourquoi.

Le dessin

Dû à Marcos Martin, épaulé par sa collaboratrice et compagne, la coloriste Muntsa Vicente, il est d’une remarquable qualité, avec un trait qui s’approche du réalisme. Le format italien fonctionne parfaitement et les idées s’enchaînent avec une organisation des planches toujours adaptée et souvent originale. Les couleurs éclaboussent l’œuvre, avec une tendance parfaitement assumée vers des tons vifs, voire flashy, qui donnent tout leur éclat à la dernière partie.

Le travail éditorial

Remarque en forme d’étonnement : le titre revient souvent (en dehors de la numérotation des chapitres), probablement une trace de la publication originelle sous forme numérique accessible sur un site Internet dédié (PanelSyndicate.com). Dans sa postface datée du 24 juillet 2017, Brian K. Vaughan qui ne néglige pas un peu d’autosatisfaction (justifiée) et de flatterie, explique que les auteurs ne s’attendaient pas au succès de cette version numérique, avançant qu’ils avaient pesé le pour et le contre, mais voulaient ce travail en toute indépendance pour aller au bout de leurs idées. Barrier (la publication américaine date de 2018) constitue leur nouveau défi insensé, après la réussite de The Private Eye (2015).

Un pari très audacieux

On peut d’ores et déjà qualifier ce pari de gagné, même si cette version papier ne fera sans doute jamais l’objet de tirages vertigineux. Le simple fait d’exister et d’attirer l’attention des curieux en librairie est une belle satisfaction, aussi bien pour les éditeurs que pour les auteurs et espérons-le pour les lecteurs également. Pour cette édition française, il faut enfin citer Jérémy Manesse (traduction), Eric Montésinos (lettrage) et François Giraudet (adaptation graphique).

Barrier, Brian K. Vaughan, Marcos Martin, Muntsa Vicente
Urban Comics, octobre 2019, 192 pages

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4