Chef-d’œuvre inclassable de Jean Giraud, alias Moebius, Arzach est un album muet qui a participé à la réinvention des conventions de la bande dessinée. Les Humanoïdes Associés propose au lecteur d’en redécouvrir le contenu, en suivant un protagoniste énigmatique dans des récits volontiers oniriques, laissant place à l’interprétation et à l’imagination.
La publication d’Arzach marque une rupture dans la carrière de Jean Giraud, et même dans l’histoire de la bande dessinée. Connu jusqu’alors pour son trait réaliste dans Blueberry, le dessinateur opte alors pour une esthétique plus abstraite et libérée. Ce changement de style signale une transition profonde dans son processus créatif, désormais orienté vers un univers où le subconscient semble prendre le pas sur le rationnel. Moebius adopte une narration fragmentée et non linéaire, inspirée du surréalisme, qui en prise directe avec les méandres de la psyché. Et en renonçant aux phylactères et aux dialogues, il accorde une puissance d’autant plus singulière au graphisme, qui devient le seul vecteur d’émotions et de récits dans son œuvre.
Dans Arzach, le protagoniste traverse des paysages caractérisés par leur minéralité, vestiges et grandeur. À dos de ptérodelphe – un oiseau hybride rappelant les chimères préhistoriques –, le protagoniste apparaît comme un être solitaire, arpentant des contrées où la distinction entre rêve et réalité s’estompe, voire s’efface. Le héros et le lecteur semblent, en chœur, explorer leurs propres frontières intérieures, au cours de récits conçus en pointillé, laissant en suspens les interprétations et en friche, les attentes.
Purement visuelle et contemplative, cette œuvre passée à la postérité, aujourd’hui célébrée, amène le lecteur à s’attarder sur chaque case. Moebius use de contrastes de lumière et d’ombre pour sculpter son univers, jouant avec les perspectives et la composition. L’album, loin de s’inscrire dans une trame narrative traditionnelle, encourage un rythme de lecture lent et immersif, proche de la méditation. Comme pour entrer en communion avec le dessin, l’observateur se retrouve immergé dans des détails subtils, cherchant dans les motifs cachés et les ombres des significations enfouies.
Au-delà de son esthétisme, Arzach prend rang parmi les œuvres chargées de symboles. L’album évoque à sa façon des thèmes tels que la solitude, la quête spirituelle et les pulsions subconscientes. Ce voyage muet rappelle par moments les périples intérieurs de la littérature classique, de L’Odyssée d’Homère aux récits hugoliens. Ce qui est certain, c’est que, cinquante ans après sa première publication, Arzach reste un classique du neuvième art, à la fois intemporel et visionnaire. Composé de quatre nouvelles graphiques publiées dans les magazines Pilote et Métal Hurlant entre 1973 et 1987, d’une nature déstructurée et d’une esthétique onirique, l’album nous invite sciemment à une lecture libre, introspective, où le lecteur projette ses propres questionnements et émotions. Du grand art.
Arzach, Moebius
Humanoïdes associés, octobre 2024, 40 pages