Mark Eacersall, Henri Scala et Raphaël Pavard publient aux éditions Glénat À mourir entre les bras de ma nourrice, récit qui nous plonge dans le quotidien déchirant d’une mère de famille célibataire, vivotant tant bien que mal dans la banlieue française, et confrontée à des choix moraux dévastateurs pour assurer la survie de ses enfants.
À mourir entre les bras de ma nourrice s’inscrit dans un contexte socioculturel marqué par la précarité économique et les dynamiques complexes des banlieues. L’histoire de Fatoumata, mère célibataire luttant contre l’adversité, technicienne de surface de profession, met en lumière la difficulté de la vie dans les cités HLM. Sa décision de céder aux avances de trafiquants locaux souligne l’impasse dans laquelle se trouvent trop de mères seules quand elles ont la volonté de reprendre le contrôle de leur vie.
Ainsi, la trame narrative de Mark Eacersall, Henri Scala et Raphaël Pavard se déploie autour des thèmes de la maternité, de la survie et de la moralité. Fatoumata est représentée comme une figure de résilience, naviguant dans un monde où les choix moraux ne sont jamais noirs ou blancs, mais teintés de nuances de gris. Les dilemmes auxquels elle fait face reflètent la complexité des décisions prises par ceux qui vivent en marge de la société capitaliste et mondialisée. Fatoumata ne fait pas partie des grands gagnants de ce modèle économique : Raphaël Pavard la montre, dans une succession de vignettes résignées, nue face à un miroir, nettoyant les vitres d’un bureau, puis en transit dans les transports en commun.
Les auteurs cherchent à capturer l’essence brute de la vie dans les cités, souvent organisée autour des trafics clandestins, dans une économie parallèle qui permet à de nombreuses familles de garder la tête hors de l’eau. Le cas de Fatoumata en est symptomatique : abandonnée par un mari et père démissionnaire, sa famille fait face aux injonctions de paiement, multiplie les privations tout en peinant à joindre les deux bouts. Les dialogues, percutants, renforcent l’authenticité des personnages et des situations mises en vignettes. C’est le cas, notamment, quand les dealers exploitent la culpabilité de Fatoumata, rendue incapable d’apporter à ses filles l’épanouissement et le confort nécessaires, pour la convaincre de mettre la main à la pâte en œuvrant en qualité de nourrice – elle doit garder une malle dont elle ignore le contenu.
Fatoumata est un personnage ambivalent, symbole de la mère protectrice confrontée à des choix impossibles dans un environnement hostile et capable de duplicité quand il s’agit de protéger les siens, que cela soit à l’égard de la police (qui s’échine à en faire une indic) ou des dealers. Sa relation avec ses trois filles, sa voisine et amie Khadija ou les dealers illustre très bien les enjeux de pouvoir et de vulnérabilité dans les banlieues. Ce n’est pas anodin qu’on la retrouve barricadée chez elle en fin d’album, comme si les événements et la violence s’imposaient à elle sans que personne puisse lui venir en aide.
Les banlieues font l’objet de descriptions détaillées de leurs environnements, interactions et conflits internes, ce qui apporte une certaine profondeur au récit, même si ce dernier peine à sortir des sentiers battus. À mourir entre les bras de ma nourrice brode également autour de la solidarité féminine et de l’amitié, comme le montre la relation entre Fatoumata et Khadija, soumise au fondamentalisme religieux de son mari. Cette solidarité est un pilier pour Fatoumata, puisque l’aide de son amie lui permettra d’éviter la prison et les menaces des caïds locaux, eux-mêmes divisés en bandes rivales.
À mourir entre les bras de ma nourrice est une œuvre évocatrice, qui expose le lecteur à la réalité souvent dure des banlieues françaises. À travers le parcours de Fatoumata, les auteurs abordent des questions épineuses et éthiques, appréhendées selon un contexte difficile. Ce roman graphique, par son réalisme et sa narration immersive, dit autant de la vie en situation de précarité que de la maternité dans les familles monoparentales.
À mourir entre les bras de ma nourrice, Mark Eacersall, Henri Scala et Raphaël Pavard
Glénat, janvier 2024, 104 pages