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« À la poursuite de Jack Gilet » : satire historique

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Le roman graphique À la poursuite de Jack Gilet, de David Ratte, voit le jour aux éditions Bamboo. Il offre une plongée aussi comique que cruelle à une époque où les tribunaux jugeaient… des animaux. Sur fond de satire historique, l’œuvre explore les absurdités d’un système judiciaire grotesque tout en développant des personnages singuliers.

« Écoute, Erold, un mulet normal sait qu’il finira dans une assiette un jour ou l’autre. C’est son destin. Il le sait et il l’accepte. Par contre, un mulet délinquant qui commet un méfait comme celui-là se doit d’être jugé, condamné et exécuté – pas abattu comme de la viande, mais puni comme un criminel. C’est une question de principe. »

Dans l’Amérique du début du XXᵉ siècle, les animaux accusés de « crimes » subissent des procès dignes des plus grands drames judiciaires. Jack Gilet, bourreau assermenté pour les exécutions animales, est un homme très occupé, non sans empathie, mais raillé par ses contemporains. David Ratte le dépeint comme une figure atypique, tiraillée entre son métier, qui lui vaut moqueries et ostracisme, et une humanité qui affleure souvent.

À la poursuite de Jack Gilet s’appuie sur des références historiques telles que le procès d’une truie ayant dévoré un enfant à Falaise, en France, en 1386, ou l’exécution de l’éléphante Mary en 1916 dans le Tennessee, dénonçant avec une douce ironie les failles d’un système où la justice se confond volontiers avec le spectacle. L’humour noir transparaît souvent dans l’album, par exemple lorsque Jack, en panne de voiture, se voit suggérer de voyager à cheval. Il répond laconiquement : « Les animaux ne m’aiment pas beaucoup. »

Outre Jack, David Ratte met en scène une galerie de personnages burlesques et profondément humains. Winifred, propriétaire d’une chèvre exécutée, est mue par le ressentiment : elle rêve de tuer Jack pour venger son animal. Cependant, leur relation évolue vers un rapprochement ambigu. Tom, un jeune prétendant au métier de bourreau « pour humains », apporte une légèreté comique, avec des remarques fusantes : il admire naïvement le « style français » de la guillotine et estime que la mise à mort attire… les femmes. On le verra aussi déclarer : « Avant, on pouvait se faire la main sur les Indiens, mais maintenant, c’est interdit. Heureusement, y a encore les nègres. »

Justement, la rencontre avec un vieil Indien persuadé que son heure est venue ajoute encore une touche surréaliste au récit. Cet homme aurait rencontré Sigmund Freud par le passé et lui aurait inculqué quelques principes qui ont guidé ses travaux. David Ratte entremêle ces faits et personnages et en tirent des situations souvent décalées. Ainsi, Jack, conscient de l’absurdité consistant à laisser des animaux sauvages en liberté, propose des solutions logiques (comme les enfermer pour éviter les drames), mais ses remarques le condamnent plus qu’autre chose.

Cette Amérique est à l’évidence malade. L’Union Chrétienne des femmes pour la tempérance s’oppose à la consommation d’alcool, qui mènerait à la misère, à la maladie, à la violence, à l’immoralité et à la prostitution. On lit ailleurs, sur la voiture : « C’est la volonté du Seigneur. Crois-tu que notre Sauveur ignore que les automobiles attirent les femmes de mauvaise vie et les danseuses de cabaret ? Crois-moi, l’odeur du pétrole livre les enfants du bon Dieu à la folie et à la dépravation ! » Et la mère de Jack, enfin, de dénier à son fils la force de caractère qui animait son père… lui-même bourreau.

À la poursuite de Jack Gilet brille par ses dialogues ciselés. La satire va bien au-delà des procès animaliers. Elle touche à la moralité, l’hypocrisie sociale, les sentiments humains… David Ratte nous offre une fresque drôle et cruelle, où l’absurde sert de miroir à nos travers. Les lecteurs riront souvent, grimaceront parfois et repartiront avec une meilleure compréhension des absurdités d’hier et d’aujourd’hui.

À la poursuite de Jack Gilet, David Ratte
Bamboo, janvier 2025, 128 pages

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