Dan Brown (Da Vinci Code), Suzanne Collins (Hunger Games), Stephen King (Ça) : la liste est longue dès lors qu’il s’agit de compiler les romancier(e)s ayant su transposer leurs univers de fiction au sein des salles obscures. Constat impayable si on y réfléchit bien : à voir l’appauvrissement d’idées sévissant à Hollywood, la démarche de se tourner vers des hommes et femmes de lettres apparaît autant salvatrice (car pouvant initier de nouvelles mythologies) que profondément opportuniste… Mais quitte à faire le jeu des studios et alimenter cette mouvance qui révèle en coin une certaine paresse de l’industrie, pourquoi ne pourrait-on pas donner sa chance et donc adapter à l’écran l’imaginaire d’un certain… Steve Berry ?
Evoquer Steve Berry – et par corollaire son héros de fiction Cotton Malone -, c’est aussi évoquer un aléa rarement mis en avant dans la vie d’un romancier : sa vie d’avant. Car pour autant de J.K Rowling ou Stephanie Meyer ayant rongé leurs freins dans des emplois aux antipodes de ce que deviendra plus tard leur carrière, le cas de Steve Berry s’avère plus atypique. En effet, ce natif de Géorgie a roulé sa bosse pendant près de 20 ans comme avocat avant d’avoir – au prix de quelques 85 refus de maisons d’éditions – sa chance. L’envie de se tourner vers l’écriture sera sans surprises à chercher du coté des difficultés inhérentes à sa profession. « Quand vous êtes avocat, vous voyez des gens dans leurs pires moments tous les jours, et ça vous affecte. Voici la vie d’un avocat : personne ne va en voir un à moins d’avoir un problème. Donc, ils viennent, sollicitent votre avis, ne l’écoute pas et vous reproche ensuite tout ce qui s’est mal passé. Après 30 ans, inutile de dire que ça s’imprègne en vous »
À tel point d’ailleurs que le héros de ses romans – tout du moins sa série principale – est avocat. Un détail tout sauf anodin ici puisque sous couvert d’évoquer son passé, Steve Berry y glisse les prémices de son style et à fortiori de ce héros : cartésien et minutieux.
Cotton Malone, de son vrai nom Harold Earl Malone, détonne en effet dès le départ, avec ses homologues de papiers. Il est rationnel, posé, nettement plus dans l’analyse que l’action (encore que) et son passé d’avocat féru d’Histoire le rend – sans doute pour la bonne tenue du roman – souvent à même de démêler le vrai du faux dans les complots et secrets qui émaillent les récits imaginés par Berry. Car tout aussi fan d’Histoire puisse-t-il être, ce dernier n’entend pas donner une verve documentaire à ses romans. Ce sont des fictions, pour la plupart directement inspirées de faits réels, certaines versant même dans l’uchronie, mais qui gagnent en sérieux et plausibilité grâce à sa prose. On se retrouve ainsi plus d’une fois à se demander si les « libertés » prises par ce dernier tiennent d’un fantasme d’historien non avoué, ou plutôt d’hypothèses étayées par une suite de faits historiques méconnus assemblés les uns aux autres.
En cela, difficile de ne pas voir le lien existant entre lui et un certain Dan Brown : les deux hommes partageant ce même intérêt pour l’Histoire oui, mais abordée via le truchement, plus insolite de l’ésotérisme. Un bien grand mot, utilisé à tort et à travers de nos jours, mais qui ici sert à désigner toute la couche de mystères entourant ses histoires. Si l’on pousse d’ailleurs plus loin cette idée, l’ésotérisme accorde une large place à ce qui est secret ; que ce soit des organisations, des mythes ou encore des trésors. Et même si la teneur de ces histoires tend à se conjuguer souvent avec des mythes fondateurs des Etats-Unis (la figure Martin Luther King dans La Conspiration Hoover, les dessous de l’assassinat de JFK dans Le Code Jefferson ou encore ou la Guerre Froide dans La Quatorzième Colonie), Berry n’en oublie pas de se tourner vers le reste du monde.
Résultat, au gré de 16 romans (le 17ème devrait normalement être publié cette année), le romancier s’est penché sur de grandes figures historiques telles qu’Alexandre le Grand (La Conspiration du Temple), Hitler (La Conspiration de l’Ombre), Napoléon (Le Mystère Napoléon), Mussolini (Le Dernier Secret du Vatican) ou encore Henry VIII (Le Secret des Rois).
À ce stade, une seule inconnue demeure : pourquoi donc Hollywood ne s’est-elle pas encore entichée du bonhomme ? Il y a pour ainsi dire tout les ingrédients réunis pour garantir un succès.
On l’a vu avec la trilogie du Da Vinci Code initiée par Ron Howard ou la saga Benjamin Gates qui a eu droit à un revival cette année sur Disney + (Trésors Perdus : le Secret de Moctezuma) : les histoires à base de trésors cachés, sociétés secrètes et autres soubresauts historiques ont le vent en poupe. Et à l’heure ou le doyen de cette mouvance – Indiana Jones – s’apprête à remiser le fouet une bonne fois pour toute avec Indiana Jones et Le Cadran de la Destinée (sortie le 28 Juin), on peut se demander ou sera exhumé son remplaçant. En outre, la piste Steve Berry s’avère pertinente dans la mesure où n’importe quel scénariste peut à fortiori se reposer sur pas moins de 16 histoires différentes avant de commencer à avoir les neurones qui chauffent. Napoléon, Hitler, la Bibliothèque d’Alexandrie, la Guerre Froide : le vivier d’histoire disponible est intarissable, d’autant qu’il peut être décliné à loisir soit au cinéma, soit en série. Ce dernier support étant à priori l’option la plus enviable car cela permettrait de ne pas réitérer l’échec de Sahara (Breck Eisner – 2005), qui avait emprunté le seul écueil possible dès qu’on évoque adaptation à Hollywood : la question de la fidélité à l’œuvre éponyme.
À l’époque, le romancier Clive Cussler connu pour ses intrigues aux relents d’ésotérisme et de trésors perdus avait ainsi intenté un procès contre le studio pour avoir omis de le consulter en amont de la production. Cet oubli avait conduit le film à emprunter de gros raccourcis pour condenser l’œuvre fleuve (pas loin de 650 pages) en un film de 2h qui occultait son principal intérêt : comment un cuirassé de la Guerre de Sécession avait pu faire naufrage en plein désert du Sahara ? Ce faisant, avec Sahara faisant office de presque jurisprudence dans le milieu, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi la trame sous forme de série mérite d’être envisagée. Déjà pour donner du poids et du crédit à certaines des histoires racontées par Berry, mais aussi pour ne pas minorer ce qui fait le sel de ces histoires : sa grande acuité historique d’une part, mais aussi le lien existant entre tout les personnages. Cotton Malone est certes décrit comme un ours solitaire, mais la plupart de ses aventures ont en commun qu’elles contiennent toutes des figures récurrentes : sa boss acariâtre mais au fond très empathique Stéphanie Nelle, un président des Etats-Unis très impliqué Danny Daniels et surtout son grand amour Cassiopée Vitt.
Suffisamment de matière en tout cas pour espérer coucher en 6/8 épisodes les romans de Berry qui accusent pour la plupart, toutes le cap des 600/700 pages en moyenne. Un gros morceau donc, qu’il nous tarde ici de voir transposé à l’écran, tant derrière ses descriptions inventives que pour son lot de mystères. Steve Berry a réussi quelque chose d’assez unique : redonner goût en l’Histoire.