Aux éditions La Découverte paraît un essai de Stéphane Beaud et Frédéric Rasera faisant état de différentes approches sociologiques du football. Si de nombreuses questions demeurent en suspens – les auteurs pointent notamment le leadership des grandes nations européennes ou le dynamisme du football africain –, cet ouvrage permet de prendre le pouls des connaissances actuelles et donne aux curieux les références nécessaires à l’approfondissement des sujets abordés.
Il y a mille façons d’initier une réflexion sur le football. Les uns se pencheront sur sa popularité ou les ressorts sociaux présidant à sa pratique, les autres privilégieront une étude de son marché économique ou de son organisation du travail. Quelques-uns s’intéresseront à des questions plus spécifiques, comme l’apport des immigrés sur et en dehors du terrain ou le renversement des normes sexuées dans le cadre des compétitions féminines. Dans leur ouvrage, Stéphane Beaud et Frédéric Rasera portent leur regard de sociologue sur des sujets aussi divers que la diffusion du football, la rémunération des sportifs, la starification de certains joueurs, l’arrêt Bosman ou la « culture footballistique » au sein des classes populaires… Ces questions, auxquelles s’ajoutent des dizaines d’autres, sont ventilées entre différents chapitres, condensées en quelques pages et renvoient à des études plus étayées permettant au besoin une exploration plus en profondeur.
La collection « Repères » se caractérise depuis toujours par ses vertus académiques et vulgarisatrices. Cette Sociologie du football ne déroge pas à la règle. Après avoir étudié la rivalité entre Eton et Rugby ayant donné naissance au football, les auteurs expliquent comment le ballon rond s’est diffusé de l’aristocratie britannique vers les classes populaires et ouvrières européennes (un phénomène déjà évoqué par Mickaël Correia dans son Histoire populaire du football), avant d’être célébré en Argentine et au Brésil comme une composante essentielle du récit national. La professionnalisation du football a fait l’objet de vifs débats ; elle s’est cependant imposée peu à peu dans la pratique, jusqu’à aboutir à des dispositifs que Stéphane Beaud et Frédéric Rasera portraiturent avec clarté : des carrières courtes et précaires, des rémunérations élevées mais très inégalitaires, une vie professionnelle tendant à phagocyter la vie privée, un système de transfert faisant des sportifs des biens marchands qu’on se vend ou se prête lors de mercatos de plus en plus coûteux, une internationalisation des clubs de haut niveau (presque 50% de joueurs étrangers dans les équipes du « Big Five »)…
Le football est un métier et il conduit à une socialisation spécifique. Stéphane Beaud et Frédéric Rasera expliquent notamment comment cette pratique sportive peut renforcer le culte de la virilité et de l’argent, mais aussi mener à des discriminations liées au genre (infériorisation de la femme) et à la sexualité (homophobie). Les auteurs relativisent aussi le mythe du déshérité devenu star mondiale en rappelant les impératifs économiques qu’implique une formation professionnalisante. De même, ils nuancent les idées préconçues sur les champions façonnés par les matchs de quartier : si certaines vocations y naissent effectivement, c’est en passant par les structures que sont les clubs et leurs centres de formation que les joueurs développent des aptitudes indispensables à une carrière dans le football (lever la tête, bouger sans le ballon, étirer le jeu, etc.). Un chapitre consacré au football féminin vient clore cette Sociologie du football : on y apprend notamment ce qui a permis aux États-Unis de bâtir une équipe nationale régnant en maître sur les grandes compétitions internationales. Y figurent également un portrait de la championne du monde Megan Rapinoe et une interrogation des normes sexuées – rappelant à certains égards l’essai Du sexisme dans le sport, de Béatrice Barbusse.
Sociologie du football, Stéphane Beaud et Frédéric Rasera
La Découverte, juin 2020, 128 pages