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« Une histoire de France en crampons » : ce que le football dit de la société française

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions du Détour publient Une histoire de France en crampons, de François da Rocha Carneiro. L’auteur y passe en revue un siècle d’histoire où football et société ont été en interaction constante.

L’historien et spécialiste du football François da Rocha Carneiro prend le parti de raconter certains de ces moments où l’Histoire de France est entrée en résonance avec celle de sa sélection nationale, les deux épousant alors les mêmes mouvements, ou s’imbriquant dans des phénomènes sociaux, culturels ou politiques comparables. Il suffit d’ailleurs de se replonger dans le passé récent pour en avoir une démonstration édifiante : les stades aux tribunes clairsemées, vidés pendant des mois de leurs supporters, n’ont-ils pas caractérisé, mieux que n’importe quel discours, les privations induites par la crise de la Covid-19 ? Un peu plus loin dans le temps, c’était le stade de France, pris pour cible par des terroristes lors d’une rencontre opposant les Bleus aux Allemands, qui rappelait à tous que le pays faisait l’objet de menaces répétées et cruellement tangibles.

Conteur talentueux, François da Rocha Carneiro commence son histoire en 1914, à une époque où les calendriers chargés posaient déjà problème, et où les fédérations sportives étaient en concurrence les unes avec les autres. L’équipe de France est alors composée sur la base d’un compromis visant à contenter chaque partie, tandis que l’armée y va également de sa petite touche, à travers les joueurs conscrits. C’est une époque où, pour se déplacer de Paris à Budapest, il faut passer deux jours dans un train. L’enchaînement des matchs, les trajets interminables, les réceptions mondaines installent une forme de lassitude… En 1933, puis en 1939, la situation géopolitique n’est guère meilleure. Ainsi, on verra la sélection nationale disputer un match à Berlin alors que le Reichstag vient d’être incendié et Hitler porté au pouvoir. Puis, quelques années plus tard, alors les stades se dépeuplent à mesure que les casernes se garnissent, la plupart des joueurs internationaux sont mobilisés. La presse fait (déjà) étalage de ces footballeurs-soldats, indiquant ainsi une popularité jamais démentie depuis.

Une histoire de France en crampons ne pouvait passer sous silence les questions identitaires. Des plumes d’extrême droite lançant de vives polémiques à l’occasion de la naturalisation de Gusti Jordan aux discours acerbes de la famille Le Pen, père comme fille, sur la non-représentativité de la sélection nationale, le football français a souvent été frappé par ces considérations tout à fait étrangères au terrain. Comme le rappelle l’auteur, l’équipe de France a parfois été le symbole d’un monde en plein bouleversement, et des choix menés en matière de politique internationale. Il en va ainsi de ces joueurs naturalisés, témoins de nations disparues (l’Autriche a longtemps eu une sélection très performante, avant d’être engloutie par le IIIe Reich), ou de ces joueurs issus des pays colonisés ou des DOM-TOM. Dans les années 1950, les Gianessi, Piantoni ou Cisowski s’ajoutent aux enfants de Belges, d’Anglais ou d’Allemands, provoquant parfois les moqueries de la presse étrangère (et occultant les origines ouvrières pour ne voir que les origines ethniques). D’autre part, des footballeurs tels que Mustapha Zitouni vont faire une croix sur une place de titulaire en Suède, durant la Coupe du monde, pour rejoindre l’équipe politiquement engagée du FLN, qui comprendra aussi, notamment, Abdelaziz Ben Tifour.

Passionnant, érudit, Une histoire de France en crampons revient sur l’équipe de Vichy, sur le carré magique d’Hidalgo, sur la France Black-Blanc-Beurre de 1998 ou encore sur l’affaire de Knysna. Cette dernière y est d’ailleurs fortement problématisée – et nuancée : l’auteur en rappelle les tenants et aboutissants (l’éviction de Nicolas Anelka est alors jugée infondée par ses collègues) et se demande au nom de quoi les footballeurs n’auraient, eux aussi, pas le droit de faire grève. Après tout, les mouvements sociaux existent aussi dans le sport, et le syndicat des joueurs professionnels de Football-association a été créé… dès l’automne 1936 ! Sans aucune prétention d’exhaustivité, François da Rocha Carneiro multiplie ainsi les réflexions et tisse des toiles dans lesquelles l’EdF fait écho à son époque. C’est ainsi, par exemple, qu’il évoque l’organisation de la Coupe du monde 1978 dans l’Argentine de Videla et les débats sur le boycott qui s’ensuivent. Que faire, en tant que joueur professionnel, quand une compétition sportive tant attendue se déroule – sans que l’on ait eu le moindre mot à dire – dans un pays malmenant les droits humains les plus élémentaires ? Une question complexe, qui est toujours d’actualité plus de quarante années plus tard, alors que se profile à l’horizon un tournoi mondial disputé au Qatar.

Une histoire de France en crampons, François da Rocha Carneiro
Editions du Détour, août 2022, 224 pages

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