Docteur en études cinématographiques, David Da Silva poursuit son exploration du cinéma américain à l’heure du trumpisme. Dans un ouvrage paru aux éditions LettMotif, il étudie la manière dont les thèmes de prédilection – et les obsessions – du 45e président des États-Unis ont infusé à Hollywood. Certains cinéastes s’en sont fait l’écho, d’autres ont pris le parti de s’en distancier, parfois ouvertement et radicalement.
Avant même son ascension à la Maison-Blanche en 2016, Donald Trump a transformé non seulement la politique, mais également la société américaine dans son ensemble. Le trumpisme a en effet engendré de profonds clivages, orienté la politique selon des axes particuliers et mobilisé un électorat spécifique et relativement bien identifié. Dans un pays plus que jamais polarisé, l’Américain moyen et rural, victime de la mondialisation et de ses travers, s’est vu réhabilité. Socialement, le discours divisif du milliardaire a accentué les tensions raciales et identitaires, alimentant des mouvements tels que Black Lives Matter et #MeToo.
La politique de Donald Trump s’est concentrée sur quelques enjeux mobilisateurs : le nationalisme économique, l’immigration restrictive et le désengagement de certains accords internationaux, quand la parole, libérée, s’en prenait ouvertement aux minorités – dont les femmes et les latinos – et aux Démocrates – souvent dans une veine volontiers complotiste. La base électorale de Trump est principalement composée de travailleurs de la classe ouvrière blanche, touchés par la mondialisation et désireux de changement. Un « peuple oublié » qui a permis à Donald Trump de remporter des États-clés autrefois acquis aux Démocrates, comme la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin. Et c’est cette Amérique reléguée à l’arrière-plan d’une mondialisation malheureuse qui, comme le note David Da Silva, va se voir mise à l’honneur dans le Hollywood pro-Trump concomitant à sa présidence.
Les films en résonance avec le trumpisme
Dans une sélection de films trumpiens dont la pertinence nous est patiemment démontrée, certaines figures hollywoodiennes ressortent clairement. Parmi elles, on retrouve notamment Clint Eastwood, Gerard Butler, Peter Berg ou John Lee Hancock. Le premier a ouvertement soutenu Donald Trump avant de s’en détacher au profit de l’ancien maire de New York Michael Bloomberg. Plusieurs de ses films, dont Le 15 h 17 pour Paris, La Mule ou Le Cas Richard Jewell, s’inscrivent précisément dans la ligne idéologique défendue par le 45e président des États-Unis. Et pour cause : un héros ordinaire jeté en pâture à la presse et soupçonné à tort, un vieillard blanc, héroïque à sa manière, faisant face aux trafiquants de drogue mexicains, de valeureux Américains déjouant un attentat dans un train bondé en Europe, tous semblent concourir à la mise en saillie des tropes de Donald Trump.
De leur côté, Gerard Butler affronte un État profond hostile et manipulateur dans La Chute du Président, Peter Berg multiplie les longs métrages « Trump-compatibles », John Lee Hancock prend à témoin un « déplorable » aux airs de parfait faux coupable (Une affaire de détails) et même Michael Bay y va de son petit 13 Hours, pas avare en miliciens menaçants et sanguinaires (et accessoirement arabes). De l’entrepreneur visionnaire au travailleur déclassé en passant par l’islamiste ou le caïd latino, Hollywood s’est largement penché sur les figures généralement associées au trumpisme. Même la Chine, ou plus largement l’Asie, se retrouve en bonne place dans l’essai de David Da Silva, avec des films tels que Le Mans 66 (cité à plusieurs reprises) ou 22 Miles (Peter Berg).
Les films en rupture avec le trumpisme
La vague d’indignation et de réflexion critique relative au trumpisme s’est infiltrée jusque dans les arcanes de l’industrie cinématographique hollywoodienne. Un peu à la manière d’une caméra Panavision capturant en panoramique une scène bouillonnante, Hollywood a saisi les failles de la présidence Trump. Il a offert une représentation problématisée de la dynamique du pouvoir, mais aussi du racisme et des inégalités sexuelles qui ont impacté la nation américaine.
Dans BlacKkKlansman, de Spike Lee, le KKK s’érige en miroir au trumpisme, un trait d’autant plus évident que la complicité affichée entre Trump et le leader suprémaciste David Duke demeure incontestable. Get Out, de Jordan Peele offre de son côté une allégorie glaçante de l’appropriation culturelle et raciale, une mise en abyme de l’impérialisme blanc qui se déguise en progressisme libéral. Detroit, de Kathryn Bigelow se présente quant à lui comme une fresque d’une actualité brûlante, mettant en scène les ravages du racisme institutionnel et la marginalisation des minorités, thèmes tristement échos du discours belliqueux de Trump. Vice d’Adam McKay se pourfend d’une biographie impitoyable de Dick Cheney et établit des ponts avec Steve Bannon, le conseiller spécial de Donald Trump.
La déconstruction de la masculinité toxique a également été une réaction à la rhétorique misogyne de Trump, comme dans Le Dernier Duel de Ridley Scott. Ce film s’attaque de front aux violences sexuelles, une problématique qui a ébranlé Hollywood avec le mouvement MeToo. Scandale, qui montre en sus explicitement Donald Trump à l’écran, s’inscrit évidemment dans ce même mouvement. Cependant, le cinéma hollywoodien n’a pas toujours été univoquement anti-Trump. Des films comme Nomadland, The Banker et Joker ont offert une critique nuancée et plus complexe du paysage social américain, évoquant la précarité économique, la corruption institutionnelle et l’exclusion sociale sans prononcer de condamnation définitive du 45ème président.
Hollywood et Trump, une multiplicité d’états
De tous temps, le cinéma hollywoodien a démontré la capacité du septième art à agir comme une critique, frontale ou circonstanciée, de la réalité contemporaine. Il est rappelé que le Nouvel Hollywood des années 1970 et l’action movie des années 1980 répondaient à des logiques différentes, en prise directe avec le climat politique de l’époque. Qu’il vienne en appui ou en rupture avec le trumpisme, le cinéma trumpien tel que défini par David Da Silva a su saisir l’essence des divisions politiques américaines, confrontant le spectateur aux controverses et tropes qui ont accompagné la présidence du célèbre milliardaire. Ce second tome de Trump et Hollywood dresse à cet égard un panorama bien documenté, finement analysé et très utile à la compréhension des ressorts narratifs hollywoodiens sous l’ère Trump.
Trump et Hollywood : Le Cinéma trumpien, David Da Silva
LettMotif, juin 2023, 250 pages