Totò, de son vrai nom Antonio de Curtis, est longtemps apparu comme un acteur inclassable. Digne représentant du cinéma populaire transalpin, le comédien a également traversé le cinéma d’auteur de son pays, sa persona assurant la cohérence de productions diverses et parfois opposées. L’ouvrage d’Élodie Hachet, docteure en études cinématographiques, permet de mieux comprendre l’importance de cet interprète unique en son genre.
L’originalité et le talent de Totò suffisent-elles pourtant à faire de lui un auteur à part entière ? À partir d’un travail approfondi sur les archives des films et d’une étude attentive des textes écrits par l’acteur et son entourage familial, Hachet fait de cette question l’une des problématiques transversales de son ouvrage. La singularité de l’interprète est revue à travers le prisme de ses modèles qui, du carnaval au futurisme en passant par les types de la commedia dell’arte, affirment l’importance des origines nationales et des particularismes régionaux (la culture napolitaine) dans l’élaboration de l’art de l’acteur.
Cette méthodologie se déploie à travers les films qui composent un corpus large et éclectique analysé finement par Hachet. L’intérêt de l’ouvrage est ne pas avoir privilégié une période ou une collaboration en particulier sans pour autant céder à la tentation de l’exhaustivité. Les choix de Hachet qui oscillent entre les exemples canoniques (L’Or de Naples de Vittorio De Sica ; Des oiseaux petits et gros de Pasolini) et les productions moins connues du public francophone (Totò, apôtre et martyr de Amleto Palermi ; Yvonne la nuit de Giuseppe Amato) sont d’abord guidés par la volonté de décrypter les singularités stylistiques de Totò.
L’analyse du jeu est pareillement déterminé par une capacité à déchiffrer les sources des interprétations de l’acteur. Le modèle scénique (entre le spectacle de cabaret et l’opéra) coïncide avec la recherche plastique (le costume, le masque) pour assurer la réussite de l’effet comique ou mélodramatique. Cette remarque souligne la difficulté posée par cet objet d’étude. Car si Totò se démarque principalement au sein de la comédie, la dramaturgie de ce registre se prête à différents contrastes que l’ouvrage décrit parfaitement.
Cette idée se reporte sur les spécificités physiques du personnage canonisé par l’acteur. À l’instar du Charlot de Chaplin, le Totò d’Antonio de Curis véhicule une atmosphère exprimée par sa démarche, sa gestuelle et ses attitudes. Hachet inscrit ici son étude dans le domaine des études actorales et parvient à faire de l’approche monographique (recours à des éléments biographiques, retour sur l’évolution de la carrière de l’acteur) un moyen d’enrichir ses analyses formelles. Plus que le typage de l’apparence, c’est la réalité du corps filmique que l’auteure décrit à travers de riches chapitres.
L’excellence de cette analyse est par ailleurs soutenue par un beau travail d’édition. La présence de nombreuses illustrations permettent de soutenir les arguments de Hachet et participent pleinement au plaisir de découverte qui transparaît à travers chaque page de cet ouvrage. On notera enfin la présence d’une bibliographie et d’une filmographie détaillée qui valorisent la rigueur scientifique de cette parution.
Totò. Des origines à l’original, Élodie Hachet
Mimésis, juin 2023, 366 pages.