Les éditions Au Diable Vauvert publient en édition poche le recueil Sur l’écriture, de Charles Bukowski, poète parmi les plus influents d’Amérique. Plus de 6000 exemplaires de cette sélection de textes inédits avaient déjà été vendus en grand format.
Charles Bukowski incarne la quintessence de la contre-culture littéraire américaine. Il faisait partie de ces écrivains rares capables de peindre avec une virtuosité brutale et une franchise sans pareille les vicissitudes de la vie. Interprète des sans-voix, poète des caniveaux, ses vers et ses proses ont inondé l’Amérique de leur réalisme cru et décapant. Il éclaboussait ses pages d’une encre à la fois sombre et éclatante, cherchant à capturer les nuances les plus subtiles de l’existence humaine, parfois à travers le prisme déformant de l’alcool et de la solitude. Toujours du côté des déshérités et des impudents, Bukowski a portraituré la société à traits fins, d’une beauté déchirante, tour à tour sophistiquée et grotesque. Son œuvre s’apparente à une mosaïque de fragments de vie brisés et recollés. Elle célébrait la survie dans un monde hostile. Inébranlable, malgré les vents contraires, ce « poète des pauvres » a vogué à contre-courant, sans jamais perdre de vue le phare de sa vocation : l’écriture.
C’est précisément l’objet qui nous préoccupe. Paru posthume, Sur l’écriture est un recueil de correspondances et d’extraits des œuvres de Bukowski qui jette une lumière crue sur ses conceptions et l’essence de l’écriture. Il déconstruit minutieusement les mécanismes de création, dévoile ses pensées les plus profondes et ses nombreuses réflexions sur ce processus. Il y défend l’idée d’une écriture directe, viscérale, crue, purgée de toute prétention intellectuelle. Charles Bukowski appréhende la rédaction comme un authentique acte de survie, une nécessité peut-être aussi impérieuse que respirer. Il énonce avec sincérité son dégoût pour la littérature académique, pour le formalisme empesé, pour les œuvres qui manquent de vérité et de vécu. Il dénonce l’écriture pour l’écriture, celle qui n’a pas d’âme, artificielle, qui ne fait pas saigner, léthargique. Et il met en garde contre le danger de la complaisance et de l’autosatisfaction. Selon lui, l’écrivain doit constamment se remettre en question, chercher à atteindre le cœur de l’humain, à travers une plume qui ne tremble pas, même face à la vérité la plus dure.
De Shakespeare à William S. Burroughs en passant par William Faulkner, Henry Miller ou les poètes Black Mountain, nombreux sont les auteurs à passer sous les fourches caudines de Charles Bukowski. L’homme n’a pas sa langue dans sa poche. La verve en alerte, il initie la querelle, nourrit la controverse, force le trait jusqu’à déborder du cadre. Mais sur ce dernier, précisément, il n’a pas eu son mot à dire. La sélection et l’agencement des textes, décision éditoriale posthume, peut, par un effet cumulatif et outrancier, avoir quelque chose de lassant. Il faudra passer outre pour comprendre ce qui animait – et rebutait – Bukowski. Celui qui se plaignait en arguant connaître « mieux la vie en parlant à un éboueur qu’en parlant à TS (Eliot) » n’était pas avare en divagations géniales et en abjections fleuries. Irrésistibles sur la forme, vulnérables sur le fond, les critiques de Bukowski sur ses « collègues » ne sont pas toujours des plus réfléchies. Mais tant dans ses lettres qu’à travers ses dessins illustratifs, le poète se livre avec sincérité. Rassemblant des extraits de plusieurs dizaines de courriers écrits par Bukowski entre 1945 à 1993, Sur l’écriture est tout à la fois : une critique acerbe et pas franchement circonstanciée, un point de vue radical aux multiples aspérités, l’énonciation d’une passion, d’une solitude et d’une ambition, le portrait d’un irréductible plus amer que doux, un catalogue d’humeurs et de regards introspectifs… Enlevé et troublant.
Sur l’écriture, Charles Bukowski
Au Diable Vauvert, mai 2023, 304 pages