Sociologie des prénoms vient enrichir la collection « Repères » des éditions La Découverte. Baptiste Coulmont y fait état des recherches en la matière et rappelle comment le prénom s’est fixé au cours de l’Histoire.
Dans son premier chapitre, Sociologie des prénoms expose ce qui a présidé à la fixation d’un binôme nom patronymique-prénom en Europe. Le système germanique a été remplacé au Moyen-Âge par un système de nomination à double composante. Le processus de fixation des noms héréditaires a été lent. Et l’auteur de rappeler en outre que plus l’État se renforce, plus l’identité des personnes tend à gagner en stabilité et en permanence. Avec la sécularisation de la France, le nom de baptême, puisé dans les récits religieux, devient le prénom libre de l’état civil, que l’on peut d’ailleurs qualifier, comme l’ouvrage le mentionne, de « bien d’État ». Les prénoms révolutionnaires peuvent quant à eux être considérés comme des signes d’adhésion. Ce dernier point est d’ailleurs intéressant, puisqu’on en trouve un prolongement dans la turquification des noms suivant les visites des villes turques par Mustafa Kemal entre 1923 et 1938, ou encore dans le succès des prénoms hébraïques parmi les Juifs en Palestine. À chaque fois, il s’agit de démontrer que l’on forme une communauté – ou de se donner les moyens de s’y fondre, comme le firent les Juifs en France en réaction à l’antisémitisme ou les immigrés maghrébins plus tard en francisant leurs noms.
Sans surprise, Baptiste Coulmont se penche sur la répartition des prénoms à travers le temps (mais peu sur leur psychologie, notons-le). Il souligne qu’au 21e siècle, l’étalement de la courbe de fréquence se réduit : les prénoms à la mode se succèdent plus rapidement. Il existe dans le même temps un phénomène d’éparpillement, avec notamment une multiplication des prénoms rares. Naturellement, la géographie, l’époque, l’appartenance à telle ou telle classe sociale, les bases affinitaires influencent significativement l’attribution des prénoms. Les cadres sont souvent les premiers à adopter les futurs prénoms à la mode, tandis que les ouvriers et les agriculteurs ne s’en emparent que tardivement, après les autres classes socioprofessionnelles, et une fois qu’ils sont devenus courants. Un mouvement opère discrètement : les classes supérieures adoubent des prénoms avant de les abandonner une fois répandus dans la société et récupérés par les classes populaires. Mais ce qui a longtemps prévalu apparaît toutefois moins vrai aujourd’hui : Baptiste Coulmont explique ainsi qu’on observe désormais une diffusion plus segmentée et la formation de goûts de classe.
Pour les sociologues, le prénom est un indicateur et un signal. Aux États-Unis par exemple, le choix des Noirs de se différencier culturellement par le prénom s’est accentué dans les années 1960 – celles de la lutte pour les droits civiques. Des chocs exogènes comme la guerre ou la Révolution culturelle en Chine peuvent aussi infléchir ou initier des tendances. L’auteur revient tour à tour sur la diffusion du prénom Adolphe à travers le temps, les choix onomastiques des immigrés, les terminaisons des prénoms féminins (les Kenza d’aujourd’hui sont les Mauricette d’hier), les prénoms épicènes (de plus en plus courants, surtout en raison de la multiplication des prénoms rares encore non genrés), le prénom comme terme d’adresse professionnel, l’expérience des CV anonymes, l’appellation d’un foetus comme naissance sociale, les choix opérés dans les couples mixtes érigés en affirmation identitaire, etc. Le prénom a aussi une importance statistique non négligeable à l’heure où les données ethniques manquent : il permet notamment d’objectiver des tendances sur le marché du travail ou au regard des condamnations pénales et ce, bien que ses signaux demeurent relativement flous (discrimine-t-on vraiment et si oui, sur quelles bases ?).
Sociologie des prénoms ne fait certes que survoler des questions éminemment complexes, mais en passant en revue les connaissances actuelles, Baptiste Coulmont invite le lecteur à porter un regard panoptique sur quelque chose qui lui paraîtra désormais beaucoup moins anodin…
Sociologie des prénoms, Baptiste Coulmont
La Découverte, février 2022, 128 pages