Julie Sedel publie aux éditions La Découverte, dans la collection « Repères », l’opuscule Sociologie des dirigeants de presse. Elle y revient sur leurs traits constitutifs et leur travail.
Ils sont PDG, managers, directeurs éditoriaux ou actionnaires. Ils occupent des postes de premier plan dans le secteur de la presse. À ce titre, ils peuvent se revendiquer d’être les coproducteurs du débat public. Les dirigeants de presse constituent une galaxie à part, moins visible que les éditorialistes ou les grands reporters, mais dont le rôle et l’influence méritaient d’être questionnés. C’est à cette entreprise délicate que s’astreint Julie Sedel, spécialiste du sujet et auteure de l’ouvrage Dirigeants de médias : Sociologie d’un groupe patronal (publié aux Presses Universitaires de Rennes).
Peu féminisés, les métiers de dirigeant de presse renvoient à une certaine homogénéité. Ceux qui en France en remplissent les fonctions sont généralement des hommes, nés Français, issus des classes moyennes et supérieures. Monique Dagnaud et Dominique Mehl pointent à leur endroit un certain déficit en attributs et titres symboliques (fréquentation de grandes écoles, carrière ministérielle), tandis que d’autres (Mayerhoffer, Pfetsch) leur reconnaissent un contrôle de ressources symboliques. Comme Julie Sedel le rappelle, leur évocation éditoriale (dans les essais, les biographies, les portraits journalistiques) répond souvent l’une de ces trois dimensions : hagiographique, critique ou négative.
Il n’était pas possible de traiter d’un tel sujet sans le contextualiser à l’aune de structures médiatiques précaires et changeantes. Après la Libération, le gros des bataillons des dirigeants de presse est issu de la Résistance, son travail est balisé par l’État, en raison de liens étroits avec les champs bureaucratiques et politiques. Les années 1980 marquent un profond bouleversement, puisque la libération du secteur audiovisuel effrite le contrôle étatique et installe (déjà) les managers à des postes-clés. Une tendance qui s’amplifie encore dans les années 2000, avec l’essor des capitaux étrangers, de la concentration médiatique et le remplacement de dirigeants au profil littéraire par des gestionnaires. D’un côté Patrick Drahi, de l’autre Mediapart, puisque des structures indépendantes voient parallèlement le jour.
Formant une élite culturelle où la reproduction sociale demeure la règle, les dirigeants de presse ne brillent pas par leur diversité, laissée aux animateurs ou aux journalistes. Dans un échantillon étudié par Julie Sedel, 40% d’entre eux étaient par exemple issus de l’Institut d’études politiques de Paris. Il est à noter qu’on compte en revanche peu d’énarques ou d’ingénieurs parmi eux. Issus des filières journalistique, militante, intellectuelle, économique ou politico-administrative, sélectionnés sur base démocratique, réputationnelle ou strictement professionnelle, se mouvant selon les règles du mercato parisien (parfois pour se bouter hors du monde médiatique), les dirigeants de presse se livrent à une grande variété de tâches sur lesquelles l’auteure revient brièvement : réseautage, réflexion éditoriale, résistance à la pression, fonctions de représentation, impératifs de gestion…
Sociologie des dirigeants de presse se clôture par la mise en débat de l’influence de ces personnalités médiatiques parfois discrètes mais toujours centrales. Si l’opuscule parvient à un tableau d’ensemble clair et relativement complet, il comporte peu de réelles surprises et doit avant tout se concevoir comme une introduction utile à la question.
Sociologie des dirigeants de presse, Julie Sedel
La Découverte, mai 2022, 128 pages