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« Rouge vif » à Pékin

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Spécialiste de la Chine, Alice Ekman raconte dans Rouge vif à quel point l’idéal marxiste continue d’animer le Parti communiste chinois (PCC), et a fortiori le président Xi Jinping.

Il n’est pas rare de lire ou d’entendre que la Chine n’a plus rien de communiste. Qu’elle a embrassé l’économie de marché et la mondialisation au point de faire son deuil du maoïsme. Que le développement de son économie entraînera à terme celui d’un régime politique plus démocratique. Alice Ekman bat en brèche chacune de ces affirmations, en se basant sur ses séjours répétés en Chine, sur les centaines d’entretiens qu’elle y a menés, mais aussi sur les discours des officiels locaux, et en premier lieu ceux du président Xi Jinping. Ce dernier ne cesse en effet de réaffirmer la primauté du modèle chinois, de défendre l’héritage de ses prédécesseurs, de louer le marxisme… Et à ces énonciations itératives s’ajoutent une organisation et des politiques s’employant à renforcer le mainmise du PCC sur l’économie et la société chinoises, la propagande, la censure et les campagnes anti-corruption déployant notamment leurs effets conjugués.

En quelque 200 pages, Rouge vif parvient à explorer ce qui fait l’étoffe de la Chine de Xi Jinping : un recadrage idéologique permanent, un Parti en croissance continue, comprenant plus de 90 millions de membres, tous plus contrôlés les uns que les autres, des cellules politiques au sein des entreprises et des universités, des étudiants recrutés pour surveiller les réseaux sociaux, des chercheurs aux travaux politiquement téléguidés, des forums régionaux ou thématiques à foison, dans le but de renforcer le soft power local, des travailleurs contraints de suivre des séances disciplinaires au point que cela empiète sur leur temps de travail effectif, un athéisme quasi religieux… Si les camps opprimant les Ouïghours, le crédit social, les excuses publiques forcées ou l’exploitation de la culture à des fins politiques ont régulièrement fait l’objet d’articles dans la presse occidentale, l’ouvrage d’Alice Ekman va plus loin dans sa radiographie du pouvoir chinois. La journaliste explique et documente une ferveur sans cesse renouvelée envers le communisme, dont les symboles demeurent partout présents. Elle livre le constat d’un pouvoir phagocytant l’économie et l’éducation, et cherchant à s’adjuger une place de choix dans la gouvernance mondiale.

Ce qui ressort de la démonstration d’Alice Ekman, c’est une volonté de contrôle permanent. La présidence de Xi Jinping s’enferre dans une idéologie et des méthodes disciplinaires qui vont jusqu’à heurter les membres du PCC (par exemple, en raison de séances de critique ou d’éducation chronophages), voire même paralyser leur action (par peur de subir l’opprobre, d’être suspectés de corruption…). À l’international, la Chine cherche plus que jamais à avancer ses pions, à exporter son modèle, à tisser des liens avec des pays partenaires (notamment par le biais de parrainages ou de formations), à s’inscrire en discordance avec le modèle occidental. Rouge vif décrit avec clarté la manière dont se comporte le régime politique chinois : en s’arc-boutant à quelques principes inaliénables, en veillant à ce que chacun s’y conforme, en réprimant ceux qui oseraient dévier de la ligne officielle. C’est à la fois glaçant et passionnant.

Rouge vif, Alice Ekman
Flammarion/Champs actuel, août 2021, 224 pages

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