Jocelyn Bouquillard publie aux éditions Hazan La Neige par les grands maîtres de l’estampe japonaise. Il y revient sur les origines et les représentations d’un motif artistique qui a inspiré de nombreux illustrateurs.
Le mouvement artistique japonais ukiyo-e renvoie à un « monde flottant » caractérisé par l’impermanence des choses. Il n’est guère étonnant d’y retrouver en abondance le motif de la neige, non seulement lié au cycle naturel des saisons, mais dont l’état, la texture et la perpétuation dépendent des phénomènes auxquels elle est soumise : les températures, l’action humaine, les surfaces sur lesquelles elle se pose.
De nombreux illustrateurs ont nappé leurs estampes d’un manteau blanc ; il a recouvert les montagnes, s’est étalé dans les plaines, a habillé les temples ou s’est posé, sous forme de flocons, sur des courtisanes chaudement vêtues. Comme le rappelle à dessein Jocelyn Bouquillard, l’absence de couleurs de la poudreuse constitue un défi pour l’estampe polychrome nippone. L’usage du blanc du papier laissé en réserve, l’ajout de touches de couleur permettant de rehausser certains détails ont constitué un mode opératoire participant à la sublimation de l’instant présent, des beautés de la nature et des plaisirs éphémères qu’elle renferme.
Parmi eux, les oiseaux se signalent tout particulièrement et demeurent symptomatiques d’une idée d’évanescence et de fugacité parfaitement soluble dans le mouvement ukiyo-e. Mais derrière la poésie de l’anodin, la neige cache aussi un caractère ludique exprimé dans les jeux d’enfants, ou à l’occasion de la création d’un lapin géant dans le jardin du Genji (chez Utagawa Hiroshige). Elle est également associée aux « vues célèbres » du meisho-e : certains lieux réputés apparaissent ainsi nappés d’un blanc immaculé. Au XXe siècle, le mouvement Shin-hanga va récupérer le motif et y accoler des jeux d’ombre et de lumière, ainsi qu’une vision plus personnelle, censée restituer des atmosphères.
Ce nouvel ouvrage consacré aux estampes japonaises nous fait passer de « Shotei », l’un des premiers artistes emblématiques, à qui l’on doit Clair de lune sur la neige ou Prunier dans la neige, à Kawase Hasui, lui aussi friand du motif, qu’il déclinera en clerc dans Neige à Itsukushima, représentation dans laquelle un rouge saillant vient trancher avec le blanc-bleu-gris général. Dans les estampes de Hasui, tout est déjà là : le blanc envahit l’espace, les pas sont imprimés dans la poudre, les temples et les arbres dénudés recouverts de flocons, les promeneurs cramponnés à leur parapluie…
La sélection d’estampes proposée dans ce volume apparaît d’ailleurs une nouvelle fois soignée. De Takahashi Hiroaki à Utagawa Hiroshige, l’invitation à la contemplation d’une nature reconfigurée par les éléments naturels est permanente. Des Vues célèbres d’Edo à Bac sur la Sumida par un soir de neige à Hashiba, on découvre ces « mondes flottants » empreints de poésie, aux points de vue parfois vertigineux et aux lignes sophistiquées. Les femmes, les animaux, les constructions humaines prennent part à ces panoramas hivernaux, restitués avec justesse dans la grande tradition des estampes japonaises. Le livret explicatif de Jocelyn Bouquillard y apporte comme attendu, avec concision, tous les éléments contextuels nécessaires.
La Neige par les grands maîtres de l’estampe japonaise, Jocelyn Bouquillard
Hazan, novembre 2022, 236 pages