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« L’Utilitarisme » : de Jeremy Bentham à l’antispécisme

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Dans la collection « Repères », aux éditions La Découverte, le spécialiste en philosophie éthique Christophe Salvat se penche sur l’utilitarisme en confrontant ses théoriciens et leurs contradicteurs, tout en l’incorporant à des problématiques contemporaines.

Dérèglement climatique, modération de l’alimentation carnée, pauvreté, inégalités, antispécisme : si ces questions demeurent d’une actualité brûlante, elles n’ont pour l’heure trouvé aucune réponse politique appropriée et pleinement satisfaisante. L’utilitarisme, cette philosophie née au XVIIIe siècle sous l’égide de Jeremy Bentham, leur accole cependant une grille de réflexion pertinente. Penseur radical aux combats d’avant-garde (droits des homosexuels, abolition de la peine de mort, cause animale, parité entre les hommes et les femmes, etc.), Bentham figure aux côtés de John Stuart Mill et Henry Sidgwick parmi les principaux fondateurs de l’utilitarisme dit classique. Bien qu’il n’existe aucun dogme unique faisant l’unanimité entre eux, un « esprit » utilitariste les lie bel et bien. Il se base sur l’hédonisme et l’impartialité, l’utilitarisme apparaissant alors comme la philosophie du bien-être maximisé et dépourvu de toute discrimination.

Pour la collection « Repères » (La Découverte), Christophe Salvat tente de vulgariser cette philosophie éthique tout en épinglant ses nombreuses subtilités. Parmi ces dernières figurent des problèmes techniques potentiellement insolubles : doit-on adopter une approche subjective ou objective, hédoniste ou non, avec quelle échelle de temps, et selon une maximisation totale ou moyenne, un conséquentialisme modéré ou pas ? L’auteur distingue l’utilitarisme de l’acte de celui de la règle. Il explique comment le second, théorisé pour la première fois par Roy F. Harrod en 1936, justifie l’existence de règles et de normes, mais aussi dans quelle mesure il peut coexister avec la morale de sens commun ou la déontologie. Son principal avantage se situe toutefois ailleurs : l’utilitarisme de la règle implique la collectivité dans son ensemble, ce qui soulage la responsabilité individuelle et répartit entre tous l’effort à réaliser pour maximiser le bien-être de la société dans son ensemble. Toutefois, Christophe Salvat le précise aussitôt, l’utilitarisme de la règle demeure « injuste et sous-optimal ».

Malgré sa concision, L’Utilitarisme rend compte des principaux débats entourant cette philosophie éthique. Dans sa dernière partie, l’ouvrage développe plus avant les concepts d’utilité, d’impartialité, d’égalité, de maximisation ou de prioritarisme. Christophe Salvat pointe certaines limites théoriques, aboutissant notamment au renforcement des inégalités (suivant l’exemple du monstre d’utilité de Robert Nozick), à des problèmes liés aux préférences personnelles (sauver son enfant ou un parfait inconnu) ou à des paradoxes de temporalité ou de préférences (ces dernières se formant souvent selon leurs probabilités d’accomplissement, ce qui suppose une iniquité sous-jacente). Bien que certains arguments soient insuffisamment explicités ou exemplifiés pour permettre aux profanes d’en saisir toute la portée, l’essai de Christophe Salvat demeure un outil précieux pour s’éveiller à une philosophie encore mal connue en France.

L’Utilitarisme, Christophe Salvat
La Découverte, octobre 2020, 128 pages

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