Les éditions Hazan publient Les Jardins par les grands maîtres de l’estampe japonaise, d’Anne Sefrioui. Éditrice spécialisée dans l’art, l’auteure y relate la célébration picturale de ces espaces de plaisir, de détente et de spiritualité.
Le jardin japonais est plus qu’un simple aménagement paysager ; il représente une synthèse artistique de l’harmonie entre l’homme et la nature, s’appuyant sur une philosophie qui souligne la beauté de l’imperfection, du changement et de l’impermanence – concepts incarnés par le principe du wabi-sabi. À travers l’histoire et la culture japonaises, ces jardins ont été des espaces de contemplation, de méditation, de détente, de célébration de saisons et de représentation de la nature en miniature.
La conception d’un jardin japonais est un exercice d’équilibre subtil, cherchant à créer un espace harmonieux qui incite à la rêverie. Des éléments tels que les roches, l’eau, les arbres et les fleurs sont disposés avec soin pour refléter les paysages naturels de manière stylisée. Les jardins zen, par exemple, sont réputés pour leurs compositions minimalistes de gravier et de roches, créant une atmosphère propice à la méditation.
Quand l’art s’empare d’un élément culturel
L’estampe japonaise, en multipliant les représentations de la vie quotidienne, s’est bien entendu penchée sur les jardins. Des maîtres de l’ukiyo-e tels que Hokusai, Hiroshige et Utamaro ont intégré plus d’une fois ce motif dans leurs œuvres, reflétant la beauté de ces paysages méticuleusement créés. Les jardins, avec leur aspect éphémère et changeant, étaient un moyen idéal pour ces artistes d’exprimer le passage du temps et l’impermanence, des thèmes centraux de l’ukiyo-e.
Par exemple, Hiroshige, dans sa série Les Cinquante-trois Stations du Tokaido, représente souvent des voyageurs en pause dans des jardins, soulignant leur rôle de refuges au milieu du voyage. Hokusai, dans sa série Trente-six Vues du Mont Fuji, incorpore souvent des jardins en tant que partie intégrante du paysage, signe de la relation entre l’homme et la nature.
Investis d’une dimension bouddhique, agrémentés d’eau, de roche ou de végétaux, faisant écho à des croyances animistes et polythéistes (les kamis), les jardins ont en outre fait l’objet d’un traité de conception très populaire, le Sakuteiki, témoignant de leur place prépondérante dans la culture nippone. Anne Sefrioui revient sur leur appréhension et leur gestion à travers le temps : la période de Heian, entre le VIIIe et le XIIe siècle, voit les jardins se complexifier et s’ouvrir aux espaces « à thème », tandis qu’au cours de la période Edo (XVIIe-XIXe siècle) apparaissent d’immenses et ostentatoires jardins de promenade, les architectes paysagistes remplaçant alors les moines dans l’entretien de ces lieux de passage et de contemplation.
Le livre-accordéon donne à voir des estampes dans lesquelles les femmes s’affairent : elles prennent place dans les jardins pour se promener, broder, dessiner, rêvasser, se détendre ou entretenir les lieux. Pins, cèdres, cerisiers, chrysanthèmes, camélias, pivoines pullulent dans les jardins de promenade, de palais ou bourgeois, très représentés dans le recueil.
Des estampes de toutes sortes
Les estampes soulignent l’importance des jardins dans la culture japonaise, et montrent comment ils ont été utilisés dans l’art pour exprimer des émotions, évoquer des atmosphères et symboliser des idées philosophiques profondes. Jardin sous la neige (Toyohara Chikanobu), Jeunes femmes jouissant des plaisirs du jardin (Utagawa Kuniyoshi), Le Prince lumineux profitant des fleurs du jardin (Toyohara Kunichika) ou encore Glycines à Kameido (Ogata Gekko) ont tous en commun de mettre en scène des femmes, des maisons typiques, de l’eau et des motifs secondaires, représentatifs du genre, comme la neige, la roche ou les cerisiers en fleur. D’autres estampes se focalisent uniquement sur la végétation, ou illustrent des jardins secs. Utagawa Hiroshige, dans sa série Cent vues célèbres d’Edo, incorpore le « nouveau mont Fuji » en arrière-plan d’un paysage verdoyant quadrillé d’eau.
Miyagawa Shuntei, Katsushika Hokusai, Utagawa Kunisada, Ohara Koson ou Toshikata Mizuno ont tous représenté le jardin dans leurs estampes. En bonne place dans le livre-accordéon, ils se distinguent, au même titre que leurs homologues, par une dynamique chromatique particulière, mêlant à une palette de couleurs modérée et naturelle, accentuant la tranquillité et l’harmonie qui prévalent dans l’espace jardiné, des couleurs plus vives, qui servent à animer certaines scènes.
Les détails sont souvent soigneusement rendus, traduisant l’importance de l’esthétique wabi-sabi, qui apprécie la beauté dans l’imperfection et la simplicité. Les fleurs déployées, les branches d’arbres sinueuses et le cours d’eau tranquille se trouvent parmi les éléments souvent dépeints avec une précision minutieuse. Les humains peuvent occuper une place centrale ou accessoire, et même apparaître minuscules par rapport à la majesté de la nature environnante. Ils permettent en tout cas d’illustrer le rôle du jardin comme lieu de contemplation et d’interaction sociale.
Dans ces estampes, l’usage de la perspective est volontiers employé pour souligner des éléments spécifiques du paysage ou façonner le point de vue du spectateur. Une vue élevée peut être utilisée pour présenter un panorama du jardin, tandis qu’une vue plus basse donnera l’impression de participer à la scène, de se fondre dans les lieux. Comme toujours, les moyens sont inféodés à l’émotion recherchée.
Les Jardins par les grands maîtres de l’estampe japonaise, Anne Sefrioui
Hazan, mai 2023, 113 pages