Les billes du Pachinko roulent vers leur destin

Claire, presque trente ans, vient de Suisse où elle vit, pour retrouver ses grands-parents à Tokyo. Elle compte partir avec eux en voyage pour la Corée, pays dont ils sont originaires et qu’ils ont fui au moment de la guerre. À Tokyo, ils gagnent leur vie en tenant un Pachinko.

Élément central de la narration, le Pachinko du titre ressemble vaguement au flipper qu’on trouve dans les cafés français (différence fondamentale, le Pachinko se tient à la verticale). Typiquement coréen, ce jeu me semble relever surtout du hasard, même si Elisa Shua Dusapin indique que les meilleurs joueurs utilisent quelques mouvements subtils de la main pour tenter de le contrôler. Qu’ils tiennent un Pachinko me semble donc particulièrement révélateur de la vie des grands-parents de Claire qui aimaient et aiment encore leur pays – la Corée – mais que le destin (à mettre en parallèle du hasard gouvernant le jeu) leur a fait quitter définitivement pour faire leur vie au Japon.

En attendant l’escapade en Corée

Claire s’occupe en venant voir régulièrement, à la demande de la mère, Mieko une Japonaise de 10 ans, pour lui donner des cours de français. Trouvant Mieko trop renfermée, la mère profite de la présence de Claire pour la faire sortir un peu. De ce fait, entre Mieko et Claire une relation de confiance s’instaure, un peu de grande sœur à petite sœur. Ayant appris ce qu’ils font, Mieko demande à Claire de prévoir une visite au Pachinko de ses grands-parents. Claire promet, mais assez mollement, probablement parce qu’elle considère que ce n’est pas vraiment un lieu pour une fille de cet âge. Elle préfère l’emmener au zoo où dans un parc du genre Disney.

À Tokyo

Claire ne se contente pas de cette activité d’employée de maison. En retrouvant ses grands-parents qu’elle n’avait plus vus depuis longtemps, elle se rapproche de ses racines, même si les vraies racines sont à l’étranger. Et elle s’intéresse à tout ce qu’elle observe sur place, à Tokyo, ville qui apparaît très vivante sous la plume d’Elisa Shua Dusapin. Claire observe comment les expatriés coréens sont considérés. On apprend ainsi que pour les employés du Pachinko, la retraite sera différente pour les Coréens qui toucheront quelque chose contrairement au Japonais qui ont donc tout intérêt à y travailler tant qu’ils le peuvent. De plus, Claire a des échanges par messagerie Internet avec son compagnon resté en Suisse, un enseignant.

Impressions

Celles laissées par ce livre sont étonnantes, car il ne s’y passe pas grand-chose de vraiment marquant, sauf à la fin quand Claire s’apprête à s’envoler avec ses grands-parents vers la Corée. Par contre, avec une grande économie de moyens (le livre ne fait que 140 pages tout compris), Elisa Shua Dusapin s’arrange pour faire sentir beaucoup de choses. Son art est donc de profiter de chaque circonstance pour glisser des détails révélateurs au passage. C’est un peu comme une succession de séquences cinématographiques où on verrait un personnage déambuler dans une ville et y rencontrer un certain nombre de personnes sans que rien d’autre ne se passe que quelques instants de la vie du personnage. Elisa Shua Dusapin s’intéresse bien évidemment à ce qui constitue la personnalité de Claire qui doit beaucoup à ses propres origines (née en Dordogne d’un père français et d’une mère sud-coréenne, elle s’est installée en Suisse et en a obtenu la nationalité), sans qu’on puisse identifier précisément si quoi que ce soit lui ressemblerait plus particulièrement. Elle nourrit son personnage des situations qu’elle lui fait vivre, des lieux où elle passe et des personnages qu’elle croise et rencontre. Le style est donc plutôt simple, avec des phrases courtes dans l’ensemble, sans grandes envolées, mais une justesse de description qui fait qu’on sent bien tout ce qui se passe, y compris dans les esprits. La confrontation entre les cultures européenne, japonaise et coréenne est au cœur du roman, dans tout ce qui apparaît au fil des échanges et rencontres de Claire.

Les Billes du Pachinko, Elisa Shua Dusapin
Éditions Zoé, août 2018
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