Victor Kathémo est un auteur français originaire du Congo. Un écrivain engagé, qui prend la plume pour dénoncer des injustices. Ce roman paru en 2014 est une fresque sociale, qui pointe du doigt les vices d’un système violent. Sous une forme originale, son narrateur, Jérôme Jauréguy, s’adresse au lecteur, qui se transforme en juge. Lui seul sera capable de rendre son verdict : est-il vraiment coupable de ce crime odieux dont il est accusé par les autorités ? Au-delà du développement de son protagoniste, Kathémo inclut des anecdotes et histoires venues du monde entier, d’où le titre : L’air du monde…
Dès les premières pages, le ton est lancé. Avec un style minutieux, comme une robe entièrement cousue à la main, délicatement ornementée de pierres précieuses, Victor Kathémo dévoile ses talents de conteur en peu de temps. Le lecteur est comme embarqué dans une valse. Voilà qui tranche avec un style moderne, parfois épuré et sans saveur. Sans doute soucieux de bien écrire, afin de mieux transcrire les situations et émotions, l’auteur développe son « héros » de l’ordinaire, Jérôme Jauréguy. 46 ans, divorcé, ce personnage était autrefois marié. Aujourd’hui, il se voit contraint d’habiter dans un appartement, qui donne sur une école. Un foyer vétuste et mal entretenu, où il développe un mal-être profond.
Un air de Dostoïevski à l’internationale
Nourri par des références artistiques classiques comme Rousseau, Corneille ou encore Monet, le personnage se souvient de situations absurdes et grotesques, qui témoignent de l’égoïsme humain. Par exemple, le narrateur raconte directement à son lecteur la triste destinée d’un enfant, recueilli par une famille riche au Mexique. Don Carlos et Emmanuelle recueillent le fils de Munoz, qui est alors très pauvre. Le pauvre petit au fond de la piscine, il est retrouvé mort. À la page 58, on peut lire une phrase puissante : « L’homme naît avec un visage divin, un visage qui se creuse au cours des années par l’imprégnation d’un venin diabolique. »
Dans un autre registre, il narre l’histoire de l’aubergiste breton, présentant le quotidien pénible d’un berger acharné. Ce personnage têtu est resté sur son île, malgré la tempête. En réponse, ses bêtes se sont rebellées contre lui. L’homme aurait survécu, même s’il a perdu ses jambes. Le narrateur s’interroge alors au sujet de la corrélation entre le soleil et la dépression – mais aussi la sensibilité des animaux et l’importance de les traiter correctement.
La maladie de l’âme chez l’être humain
Parfois, le texte s’oriente exclusivement sur son protagoniste, pendant quelques chapitres. Petit à petit, Jérôme tombe dans la dépression et la maladie. En résulte un style et un registre plus familiers, qui correspondent bien à son désespoir. Dans ses souffrances, il se remémore des épisodes dramatiques, alors qu’il fait appel aux services d’une prostituée. C’est là qu’il se souvient de ce policier, Jean-Marie Mazou.
Autrefois raciste et abusif, il est tombé sous le charme d’une fille de joie immigrée, Dorcas. Les deux individus se sont mariés, malgré les rumeurs. Pourtant, le quotidien d’un policier chargé de gérer des clandestins en quête d’une vie meilleure est parfois traumatisant. Afin de ne pas révéler l’entièreté de l’intrigue, nous ne révèlerons pas ici l’issue de cette histoire particulièrement touchante, comme toutes les autres anecdotes de Jérôme.
Les enfants comme ultime espoir
Seul, souffrant et nostalgique, Jérôme s’échappe par la pensée. Dans son existence qui paraît sans but, il s’échappe par la fenêtre de son nouveau foyer. Dans la cour de l’école, il laisse des cadeaux aux gamins, sans jamais se révéler. Leurs rires, leurs sourires lui donnent du baume au cœur. Parfois, il les prend en photo, simplement parce qu’ils représentent ce fils dont il n’a pas pu s’occuper. En opérant ce transfert, il s’attire ainsi les foudres de la police, qui l’accuse de pédophilie. Pourtant, le lecteur qui suit le parcours de Jérôme comprend l’étendue de cette affaire. Ce juge a l’impression de le connaître par cœur, mais est-ce vraiment le cas ?
Finalement, Kathémo signe ici un roman puissant, percutant et choquant. Sans pour autant chercher à provoquer simplement sans raison, l’auteur cherche à réunir tout l’air du monde, au sein d’un récit multiple, où le lecteur ne s’ennuie pas une seconde.
L’air du monde, Victor Kathémo
Éditions Myriapode, mars 2014, 120 pages