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« La Vie secrète des gènes » : l’inné, l’acquis et le codé

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

La biologiste Évelyne Heyer publie aux éditions Flammarion La Vie secrète des gènes, qui complète utilement, par le truchement de courts chapitres thématiques, l’excellent ouvrage de vulgarisation L’Odyssée des gènes, paru en juillet 2020. Pour ce faire, ce nouvel essai compile une trentaine de sujets développés à l’antenne de La Tête au carré, sur France Inter.

Quand elle évoque l’ADN, Évelyne Heyer l’appréhende comme une machine sophistiquée, permettant de remonter le temps et d’en apprendre davantage sur nos ancêtres, dont nous avons en héritage une mosaïque complexe de fragments génétiques. La Vie secrète des gènes s’inscrit pleinement dans cette démarche, mais en déborde occasionnellement le cadre pour porter plus loin ses réflexions, qui transcendent alors les disciplines et embrassent l’anthropologie, la sociologie, la démographie ou encore l’archéologie. C’est ainsi, par exemple, que la biologiste lie la survie des femmes après la ménopause – contrairement aux autres espèces – à l’importance que tiennent les grands-mères dans l’éducation de leurs petits-enfants. Ou qu’elle explique la sociabilité des hommes par une succession d’événements : la bipédie entraîna un sous-dimensionnement du bassin des femmes, qui engendra ensuite la mise au monde de bébés au cerveau encore immature, nécessitant alors la prise en charge collégiale, en famille et plus largement en communauté, d’enfants dépendants des adultes. Ce paradoxe obstétrical a grandement influencé les interactions au sein du groupe et le cerveau des nouveau-nés ne cesse de se développer, au cours des premières années, à la faveur d’échanges abondants et continuels. Une autre preuve de coopération humaine se trouve dans les restes d’animaux chassés et découpés en groupe, retrouvés sur des sites archéologiques. Évelyne Heyer indique par ailleurs les trois éléments qui ont toujours présidé à cette organisation des sociétés : réciprocité, comportement visant à préserver sa réputation et régulation des abus.

Organisé en courts chapitres thématiques, La Vie secrète des gènes nous apprend que chacun d’entre nous ayant un ancêtre hors d’Afrique doit environ 2 % de son génome à l’homme de Néandertal, qui a affecté notre phénotype et donc les traits observables de notre corps. Plus loin, il revient sur l’organisation en branches de l’humanité et rappelle qu’il y a 60 000 ans, nous étions pas moins de cinq espèces humaines à cohabiter, dont les « hobbits » d’Indonésie, dont la taille était alors comprise entre 1 et 1,10 mètre. L’ADN a par ailleurs permis de revoir l’opinion majoritaire sur le rôle des femmes dans la préhistoire. Citons cet exemple : il y a 8000 ans, dans les Amériques, les prétendus chasseurs étaient en réalité pour partie des femmes, qui composaient jusqu’à 40 % des individus. C’est aussi par l’analyse génomique que l’on peut suivre la série de mutations génétiques ayant permis la consommation croissante de viande grasse, la production d’enzymes permettant sa digestion et même la possibilité nouvelle, pour les nouveau-nés, d’absorber plus facilement la vitamine D du lait maternel, chacun de ces points ayant son importance alors même que l’homo sapiens a quitté les milieux tropicaux et rejoint des contrées où l’ensoleillement faisait défaut.

L’Odyssée des gènes ne disait pas autre chose : notre culture se condense dans notre ADN. Qu’il s’agisse des Inuits du grand Nord, des populations digérant le lait et plus précisément le lactose (une anomalie à l’échelle de la planète) ou simplement de la taille des individus (liée au climat ou aux préférences sexuelles), des pans entiers de l’humanité s’objective à travers notre génome. Ce dernier nous confère d’ailleurs à tous des parentés lointaines, constitue un grand livre d’histoire médicale (l’exemple de la tuberculose et du gène TYK2 est cité dans l’ouvrage) et se révèle bien plus complexe encore qu’il n’y paraît (notamment au regard de l’ADN non codant ou des fonctionnements en réseaux). Dans sa dernière partie, La Vie secrète des gènes revient sur trois thèmes passionnants : l’intelligence, la communication verbale de nos ancêtres et la race. Évelyne Heyer annonce une héritabilité du QI de l’ordre de 17 % à peine et explique que la plasticité neuronale érige l’environnement dans lequel les individus grandissent en facteur déterminant. Le niveau scolaire des parents conditionne ainsi bien plus l’avenir de leurs enfants que l’ADN qu’ils leur lèguent. Plus loin, elle questionne les aptitudes verbales de Néandertal, qui émettait a minima des sons, et porte un énième clou au cercueil des théories raciales, puisque la génétique réfute la notion de race en vertu de ce simple constat : nous sommes tous identiques à 99,9% et les gènes responsables du teint de la peau ne disent absolument rien du comportement, de l’intelligence ou de la résistance aux maladies.

La Vie secrète des gènes, Evelyne Heyer
Flammarion, octobre 2022, 240 pages

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