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« Kate Winslet, la discrète » : analyse de cas

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions LettMotif publient Kate Winslet, la discrète, de Jacques Demange. Le collaborateur à la revue Positif y analyse la filmographie et le jeu d’une comédienne exigeante envers elle-même et dont les performances s’objectivent à l’aune des équilibres qui les sous-tendent.

Grande figure du cinéma contemporain, Kate Winslet est une comédienne à la carrière aussi riche que diversifiée. Née dans une famille d’artistes, elle développe dès son plus jeune âge un goût prononcé pour la scène, qui la mène à intégrer une école de théâtre à onze ans. Cette précocité témoigne d’une passion innée qui a contribué à forger son talent et à nourrir sa détermination. Elle s’est véritablement révélée au grand public avec le succès planétaire de Titanic en 1997. Dès lors, Kate Winslet s’est construite une filmographie impressionnante, collaborant avec des cinéastes auteuristes tels que Jane Campion, Michel Gondry, Alan Parker ou Sam Mendes. Ces collaborations ont permis à l’actrice d’explorer une multitude de registres, consolidant ainsi sa réputation d’interprète polyvalente.

Comme l’énonce Jacques Demange, le style de jeu de Winslet se caractérise par un naturalisme mêlée à une certaine discrétion. Mais la comédienne n’hésite pas à se mettre à nu, au sens propre comme au figuré. Acceptant les défauts de son corps, elle transcende une certaine esthétisation, traduisant ainsi une volonté de vérité et d’authenticité. Elle use volontiers d’objets tels que des lunettes, des cigarettes ou des vêtements pour asseoir son jeu ou pour traduire les évolutions psychologiques de ses personnages. La manière dont elle investit l’espace est également notable. Elle semble souvent enserrée, que ce soit dans un huis clos, le reflet d’un miroir, à côté d’une fenêtre ou d’un acteur masculin qui la domine par sa stature. Ces phénomènes de surcadrage témoignent d’un sens aigu de la composition scénique, où chaque élément contribue à la signification globale.

Dans son oeuvre, Winslet a souvent endossé des rôles dans des films de costume, adoptant diverses nationalités et époques, ce qui témoigne de sa grande capacité d’adaptation et de son aisance à changer d’accent. Ce « caméléonisme », traduit avec justesse par l’auteur, accentue son habileté à s’immerger dans ses rôles, en faisant preuve d’une empathie profonde pour ses personnages. Cependant, son approche du jeu d’acteur n’entretient que des rapports ambigus avec la méthode Stanislavski. Si elle déploie un jeu volontiers intériorisé, souvent juste et à hauteur de ceux qu’elle incarne, elle cherche aussi à maintenir une certaine distance avec ses personnages. Ces équilibres subtils, sur lesquels Jacques Demange revient abondamment, conditionnent son jeu et la construction de ses rôles.

Un autre aspect intéressant de sa carrière est la manière dont elle est souvent perçue à travers le regard subjectif d’un autre, comme dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind et Romance and Cigarettes, ou même à travers un cadre redéfini, comme dans Neverland. Ces choix de mise en scène, procédant par une forme de dépossession, influent sur l’interprétation de ses personnages et la perception que le spectateur a d’eux. Il en va de même pour la représentation d’actions et de gestes anodins, qui joue un rôle crucial dans l’appréhension de ses rôles. Quand elle campe un personnage, Kate Winslet le fait par le menu et le tisse fil par fil, notamment par le truchement des actions les plus banales. L’analyse de la décomposition, de son jeu tactile ou de ses performances physiques à laquelle s’adonne l’auteur révèle une comédienne qui excelle dans l’art du détail. Sa capacité à transmettre une émotion, une intention ou une évolution de caractère à travers des gestes simples, tels qu’un regard, une intonation ou un mouvement subtil, renforce la complexité et la profondeur de ses personnages.

Ces performances physiques et tactiles sont d’autant plus intéressantes à observer dans les rôles où le corps de Winslet entre en mouvement ou en interaction avec l’environnement. Chaque geste peut devenir un outil de narration, ajoutant une couche supplémentaire à la personnalité du personnage. Confrontée à des scènes nécessitant une grande intensité émotionnelle, la comédienne a su démontrer son aptitude à exprimer une large palette d’émotions, à la fois nuancées et vibrantes, témoignant d’une grande maîtrise de l’art dramatique. Et si elle plonge au cœur de l’âme de ses personnages, elle ne le fait jamais à corps perdu, puisqu’elle conserve une distance nécessaire pour transmettre leurs émotions avec précision et authenticité.

Kate Winslet, la discrète fait état d’une actrice dont le talent et la versatilité demeurent indéniables. Son dévouement à la vérité de ses personnages, son habileté à naviguer entre les époques et les accents, ainsi que sa maîtrise du langage corporel font d’elle une comédienne-phare dans l’industrie du cinéma. Revenant abondamment sur les techniques de jeu de Winslet et sur ses choix de films, Jacques Demange livre, de manière structurée et soupesée, une collection d’observations fines, sondant ensemble l’essence de ses rôles.

Kate Winslet, la discrète, Jacques Demange
LettMotif, février 2023, 234 pages

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