La collection « Le mot est faible » s’enrichit d’un nouveau titre consacré au journalisme. L’auteur, pigiste et documentariste Olivier Villepreux explore ce qui est censé en former l’essence. Il désigne aussi certains phénomènes mettant à mal ses principes fondamentaux.
Le journalisme ne se réduit pas à la détention d’une carte de presse. Olivier Villepreux, lui-même dépourvu de ce précieux sésame, le définit plutôt comme une activité consistant à exposer des faits fiables et vérifiables à destination d’un public donné. Avec l’avènement d’Internet et la multiplication des plateformes numériques, tout citoyen peut ainsi se trouver en position de traiter une information de manière journalistique et de la transmettre à son public. « Un travail plus qu’un statut », comme le stipule avec à-propos l’auteur.
Une fois ce cadre définitionnel posé, Journalisme va passer en revue, certes sommairement, les réalités dans lesquelles l’activité journalistique s’est enferrée. Le quotidien 20 minutes a détaché les contenus de toute valeur financière. Une information de qualité a pourtant un prix : celui du journal. Malgré les ordonnances de 1944 limitant la concentration de la presse, le secteur a vu des groupes tentaculaires se former, sous l’impulsion première de Robert Hersant. La presse a alors souvent pris un tour conservateur et s’est lestée d’usages tels que des médias comme Acrimed ou Arrêt sur images ont fait de son analyse critique leur spécialité.
Le « caquetage de l’information en continu », la « caste de penseurs publics professionnels et autoproclamés », l’immédiateté, la parole des experts ou encore les ménages, ces situations où le journaliste est à la fois juge et partie, figurent en bonne place dans l’opuscule d’Olivier Villepreux. Un écueil moins souvent évoqué est également soulevé par l’auteur : celui des rubriques, qui aboutissent à une spécialisation empêchant parfois une lecture transversale des faits. On trouve ainsi cette phrase, mise en exergue : « Imposées, les rubriques, jamais questionnées, subvertissent et limitent le potentiel des journalistes par la spécialisation. »
L’auteur revient longuement sur la formation de journaliste, qu’il décrit comme un « formatage ». Il s’épanche sur les secrétaires de rédaction, auprès desquels il a beaucoup appris, auparavant expérimentés mais aujourd’hui essentiellement constitués de jeunes journalistes sur lesquels les rédacteurs en chef ont une certaine emprise. Olivier Villepreux explique aussi que les courriels auxquels recourent de plus en plus d’intervieweurs empêchent toute spontanéité et « prise de température ». Comment en effet interpréter au plus juste les propos d’un interlocuteur sans connaître les émotions qu’il met derrière chaque phrase ? Enfin, moins politisés et cultivés, les nouveaux journalistes seraient en revanche plus généralistes et souvent issus des classes sociales supérieures, auxquels ils s’adressent d’ailleurs en première intention.
Journalisme n’a aucune prétention à l’exhaustivité. La collection « Le mot est faible » est souvent l’occasion de prendre le pouls d’un concept qui nécessiterait, pour être véritablement épuisé, bien plus que les quelque 120 pages que ses opuscules lui dédient. Le livre d’Olivier Villepreux n’en est pas moins édifiant quant à une activité soumise à de nombreux défis. Et qui gagnerait certainement à prendre ce conseil au pied de la lettre : « Il ne faut pas donner au lecteur ce qu’il veut, il faut donner au lecteur des réponses à des questions qu’il ne se pose pas forcément de lui-même et ne peut résoudre seul. »
Journalisme, Olivier Villepreux
Anamosa, mars 2021, 112 pages