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« Introduction à Spinoza » : explorer une philosophie séminale

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

L’opuscule Introduction à Spinoza de Charles Ramond permet une initiation à l’un des philosophes les plus influents de l’histoire. Cet ouvrage clair et rigoureux offre un aperçu de la pensée spinoziste, tout en mettant en lumière ses liens avec d’autres philosophes tels que René Descartes.

Dans son opuscule de vulgarisation philosophique Introduction à Spinoza, Charles Ramond propose une exploration à la fois rigoureuse et accessible de la pensée spinoziste. Il rend d’abord compte d’une connaissance approfondie de l’Ancien Testament et du Talmud et rappelle que Spinoza, qui a vécu à Amsterdam au sein d’une famille de Marranes (des Juifs ayant fui l’Inquisition espagnole au Portugal), a été excommunié de sa communauté religieuse en raison de ses positions rationalistes. Le philosophe accordait en sus une grande importance à la figure du Christ, qu’il estimait supérieure à celle de Moïse.

Si Spinoza reprend et prolonge la philosophie cartésienne, il ne manque pas de remettre en question l’exception que Descartes réserve aux hommes dans le règne universel de la quantité. Charles Ramond présente longuement l’œuvre majeure de Spinoza, L’Éthique, dont il souligne la structure géométrique et la progression rigoureuse. L’ouvrage apparaît en effet écrit à la manière des géomètres. Sa construction se fait sans étape ni rupture, chaque développement reposant sur la véracité absolue de ce qui précède. Introduction à Spinoza met en lumière la philosophie de l’immanence de Spinoza : Dieu est présent en toute chose et le tout de la réalité est indifféremment appelé Dieu, nature ou substance. Charles Ramond verbalise dans le détail les concepts-clés de la pensée spinoziste, tels que la nature naturante et la nature naturée, les attributs, les modes infinis immédiats et médiats ou encore la théorie de l’adéquation.

L’auteur insiste sur le rejet par Spinoza des miracles et du libre arbitre, ainsi que sur l’extension du déterminisme mécaniste que Descartes avait déjà posé pour les corps inanimés et les animaux. Pour Spinoza, la liberté est une nécessité intérieure et la contrainte est une nécessité extérieure : nous sommes alors déterminés à agir par autre chose que nous-mêmes et notre nature propre. Dans la philosophie spinoziste, il n’y a pas de promesses de récompense ou de châtiment. Elle s’appréhende plutôt comme un panthéisme naturaliste qui rejetterait toute forme de métaphysique.

Charles Ramond explore également la théorie de la connaissance de Spinoza, qui accorde de la valeur à la recherche de la vérité et de la connaissance uniquement dans le cadre d’une quête existentielle individuelle ou collective en vue d’un perfectionnement ou d’un accomplissement humain. Il aborde les concepts d’affects, de passions et d’actions chez Spinoza, ainsi que les figures archétypales du sage et de l’ignorant. Pour Spinoza, les affects sont à la pensée ce que les affections sont au corps : tous deux viennent contrarier, augmenter ou diminuer la puissance et les capacités d’action du corps ou de l’esprit. Parmi les affects primitifs ou primaires, le philosophe épingle la joie, la tristesse et le désir. Le désir ne constitue pas, selon lui, une tension subjective ou intentionnelle, mais bien la dernière direction prise pour persévérer dans l’être.

Chez Spinoza règne la quantité. L’effort s’amalgame avec une forme de persévérance dans l’être, ce qui le rapproche en fait de l’inertie. Il s’apparente à une chute dans le vide que rien, c’est-à-dire aucune force extérieure, ne viendrait freiner. La possibilité d’un changement d’essence au cours d’une vie est énoncée par le philosophe. Et plus globalement, l’auteur situe le spinozisme au croisement du mécanisme et d’une certaine forme d’éléatisme. Il conclut son opuscule avec une analyse synthétique du Traité politique et du Traité théologico-politique de Spinoza. Le philosophe y défend l’idée de démocratie (vu comme un régime absolu et inconditionnel) et de la liberté de penser, il y pourfend les prêtres usurpateurs et y rappelle certains grands principes de sa philosophie. À travers ces deux ouvrages, il tend à assujettir le théologique au politique, tout en conceptualisant le fait de se sacrifier pour ses idées et pour la liberté.

Introduction à Spinoza est un ouvrage méticuleux, probablement moins accessible que d’autres opuscules de la collection « Repères », mais qui offre cependant une approche suffisamment claire et précise de la pensée spinoziste. L’auteur parvient à en dévoiler les nuances et à mettre en lumière les liens entre les différentes facettes de cette philosophie. La nature hostile, l’homme soumis à ses affects et à la superstition, la crainte et l’espérance issues de la tristesse et évoluant de paire, les préjugés sources de confusion, les foules comme lieux de haute intensité affective et souvent manipulables : nombreuses sont les problématiques déroulées au fil de cette introduction dense et éclairante.

Introduction à Spinoza, Charles Ramond
La Découverte, avril 2023, 128 pages

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