Le féminisme connaît un regain de visibilité et d’influence depuis le mouvement #metoo. Éléonore Lépinard se propose d’en dessiner les contours et de le problématiser : elle publie aux éditions Anamosa un opuscule très pertinent quant à ses dynamiques contemporaines, mais aussi ses contradictions.
Le féminisme d’aujourd’hui se caractérise peut-être avant tout par sa capacité à se réinventer et à mobiliser au-delà des frontières traditionnelles. Il embrasse une grande diversité de voix qui, entremêlées, en enrichissent davantage le message qu’il ne le parasite. L’ère post-#metoo, dans laquelle nous nous trouvons, a vu émerger de nouvelles formes de mobilisation, mieux adaptées aux réalités contemporaines. Mais comme le souligne à dessein Éléonore Lépinard, cela ne l’empêche pas de faire face à un antiféminisme qui se cristallise, comme souvent, autour de la peur du changement et de la remise en question des hiérarchies de genre établies. On le sait, le pire ennemi de l’équité, c’est le conservatisme, et il avance souvent masqué. Il suffit de se référer à la décision rendue en juin 2022 par la Cour suprême des États-Unis pour s’en convaincre.
Féminisme en fait abondamment état : l’un des aspects les plus notables du mouvement réside aujourd’hui dans sa pluralité. Les courants féministes, qu’ils soient d’entreprise, radicaux, libéraux, socialistes, intersectionnels ou transféministes, donnent lieu à une complexité et une diversité qui est source de dynanisme, mais qui soulève aussi des questions cruciales sur l’inclusivité et la cohérence du féminisme en tant que projet politique. On comprend à la lecture de cet opuscule que les débats internes, loin d’affaiblir le mouvement, tendent au contraire à stimuler une réflexion profonde sur ses fondements et ses objectifs.
De nombreuses critiques se portent sur les catégories de genre et les fondements mêmes de l’identité féminine. Ces remises en question, bien que déstabilisantes, sont essentielles pour une approche plus inclusive et représentative du féminisme, permettant de reconnaître et de valoriser les expériences diverses et les intersections de l’oppression, ou à tout le moins de l’inégalité. Des intellectuelles et militantes telles que bell hooks, Catharine MacKinnon ou Andrea Long Chu ont permis de creuser plus avant le combat féministe, en l’extirpant d’une vision fixe, hétéronormée et/ou blanche.
Aux questionnements politico-ontologiques (les femmes en tant qu’entité stable n’existent pas) s’ajoutent des critiques politico-épistémiques (hétérogénéité et privilèges). De leur côté, des féministes telles que Monique Wittig, Christine Delphy et Judith Butler ont remis en question les notions de genre et de sexe, soulignant à quel point celles-ci peuvent s’avérer socialement construites et performatives.
La question de l’identité « femmes » et des pratiques de non-mixité constitue un terrain de tension au sein du féminisme. Éléonore Lépinard explique comment la tentative de définir qui est inclus ou exclu du sujet politique « femmes » soulève des débats fondamentaux sur l’essence même du féminisme. En mutation, souvent au-delà des luttes pour l’égalité, le féminisme possède aussi une dimension éthique et communautaire qui vient problématiser les structures de pouvoir et doit servir à façonner des relations basées sur le respect mutuel et la compréhension.
L’ouvrage d’Éléonore Lépinard offre une analyse riche et nuancée du féminisme contemporain, en donnant à voir – et surtout à penser – ses potentialités émancipatrices et les défis qu’il doit relever. Féminisme se présente comme un feu éclairant le chemin vers de futurs progrès ; il rappelle que le féminisme, dans toute sa diversité, reste un projet essentiel pour la réalisation d’une société plus équitable et libre.
Féminisme, Éléonore Lépinard
Anamosa, février 2024, 112 pages