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« Darkness : Censure & Cinéma en France » : sur le contrôle des films

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Un peu plus d’un an après l’essai d’Arnaud Esquerre consacré à la censure cinématographique, la collection Darkness (LettMotif) se penche à son tour sur le contrôle des films en France. Comment ce dernier est-il organisé ? Dans quel but ? L’ouvrage, de nature compilatoire, est basé sur des articles et des interviews qui, ensemble, éclairent les mécanismes de classification à travers le temps.

Quand Mad Max passe sous les fourches caudines du CNC et de ses sous-commissions, le film de George Miller est déjà acclamé aux quatre coins du monde. En France, il est renvoyé en plénière en raison de sa violence (le terme « poison » sera employé dans un compte-rendu), puis amputé et remonté par la Warner/Columbia, à plusieurs reprises, sans qu’y soient jamais associés le producteur Byron Kennedy ou le réalisateur George Miller. Avec ses sept passages devant la Commission de contrôle des films, ses classifications changeantes et ses nombreuses coupes, Mad Max constitue la pointe avancée d’une censure à la française, longtemps capable de mutiler des films au nom de la protection de la jeunesse – et/ou du maintien de l’ordre public. Mais son cas est cependant loin d’être unique : Baise-moi a été l’incubateur d’une réforme de la classification, Saw 3D a été privé de son visa d’exploitation, Emmanuelle 2 a été ixifié au grand dam de la profession…

L’association d’obédience judéo-chrétienne Promouvoir, fondée en 1996 par l’avocat André Bonnet, a beaucoup milité ces dernières années en introduisant des recours contre les visas d’exploitation de films jugés sulfureux, dont Nymphomaniac, Saw 3D, Ken Park, Fantasmes, Love, Sausage Party ou La Vie d’Adèle. Interrogé à ce sujet, André Bonnet précise que « certaines scènes particulièrement ignobles, lorsqu’elles sont filmées avec complaisance et/ou véhiculent des messages destructeurs à l’encontre de certaines catégories de personnes, avilissent également le spectateur ». Jean-François Théry rappelle d’ailleurs que jusqu’au décret de 1990, troquant le contrôle pour la classification, l’évaluation des films procédait d’une « police spéciale » relevant, selon l’expression du Conseil d’État, de l’ordre public moral. Aujourd’hui, le modus operandi de la Commission des films appelle toutefois à davantage de nuances.

La Commission de classification des films est composée de quatre collègues : celui des administrations, constitué de représentants du Ministère de la Justice, de l’Intérieur ou encore de la Jeunesse ; celui des professionnels du cinéma, où figurent producteurs, scénaristes, réalisateurs, distributeurs ou encore critiques ; celui des experts scientifiques (médecins, psychologues, sociologues…) ; et celui du jeune public, où siègent des membres âgés de 18 à 24 ans. Pour obtenir un visa d’exploitation, un film doit déposer un dossier au CNC. S’ensuit une projection devant des comités (des sous-groupes) composés de trois à six personnes, lesquels donnent leur feu vert à l’obtention du visa tous publics ou, au contraire, renvoient le film en plénière pour décider d’éventuelles restrictions. Au fil du temps, comme en témoigne l’épineux cas de Mad Max (sur lequel les auteurs reviennent longuement), les critères d’évaluation se sont adoucis. Les intentions des auteurs ont notamment été davantage prises en considération. On ne peut que le saluer, car non seulement les restrictions mettent à mal les prétentions commerciales d’un film, mais elles conditionnent en outre ses futurs horaires de diffusion à la télévision, voire la fiscalité à laquelle il va être soumise (pour les œuvres classées X).

Toutes ces problématiques s’avèrent parfaitement explicitées dans ce nouveau volume de Darkness, dirigé par Christophe Triollet, et prenant la forme d’une succession d’articles – et d’entretiens – sur la censure et la classification des films en France. Du pouvoir des maires à interdire la diffusion d’un œuvre pour maintenir l’ordre public à l’utilité des avertissements pour graduer les mises en garde en passant par les censures « généalogiques » ou les révisions de contenus opérées par Netflix, les auteurs reviennent abondamment sur les tenants et aboutissants du contrôle du cinéma en France. Ils n’omettent pas non plus d’en considérer l’évolution à travers le temps et de questionner sa pertinence à une époque où les images circulent librement sur Internet – voire en VOD. Malgré quelques redites imputables au format de l’ouvrage (certains articles se recoupent pour partie), Censure & Cinéma en France constitue un essai précieux pour qui entend mieux saisir les principes et l’organisation de la classification des films.

Darkness : Censure & Cinéma en France, ouvrage collectif
LettMotif, octobre 2020, 456 pages

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