Journaliste à Mediapart et auteur d’Une histoire populaire du football, Mickaël Correia publie aux éditions La Découverte un essai intitulé Criminels climatiques, au cours duquel il enquête sur les activités de Gazprom, Saudi Aramco et China Energy, les trois multinationales les plus émettrices de CO2 de la planète, respectivement actives dans le gaz, le pétrole et le charbon.
Gazprom s’est fait connaître du grand public à travers plusieurs actions minutieusement soupesées : des partenariats ronflants avec l’UEFA et la FIFA, le sponsoring du FC Zénith en Russie ou de Schalke 04 en Allemagne, du mécénat culturel, des activités caritatives et des figures de proue attirées dans son giron selon le principe des revolving doors, au premier rang desquelles figurent l’ex-chancelier Gerhard Schröder, mais aussi, dans un autre registre et de manière plus confidentielle, le double Ballon d’or Franz Beckenbauer. Société-phare des énergies fossiles, à l’instar de Saudi Aramco et China Energy, le géant russe du gaz, plus que jamais en cheville avec le Kremlin, s’emploie à pérenniser ses parts de marché et à soigner son image en recourant au greenwashing : c’est ainsi que la multinationale qui lorgne l’Arctique communique dans le même temps sur l’hydrogène, pourtant grand consommateur de gaz, dans l’espoir fallacieux de « verdir » la fabrication d’énergie.
Criminels climatiques est une patiente entreprise de déconstruction. Mickaël Correia démontre pas à pas comment les multinationales de l’énergie, et plus spécifiquement Gazprom, Saudi Aramco et China Energy, parfois en partenariat avec d’autres géants du secteur tels que le français Total ou l’italien Eni, s’inscrivent délibérément à rebours des accords de Paris, dans une démarche écocide dissimulée derrière des dehors « rassuristes » (dont le solutionnisme technologique). Gazprom communique sur l’hydrogène, Saudi Aramco sur des moteurs plus économes en carburant, China Energy sur le captage et le stockage du carbone. L’auteur précise d’emblée qu’il ne faut pas y voir une quelconque conscience climatique : il s’agit surtout de détourner l’attention des décideurs, ou de maximiser ses profits. C’est ainsi, par exemple, qu’Aramco entend transformer le gaz carbonique capturé… en polymères, donc en plastique ! China Energy n’est certainement pas la moins cynique de ces multinationales : instrument d’une diplomatie de la dette à la chinoise, elle développe des centrales gigantesques et polluantes, entraînant en sus des surcapacités considérables et des frais de gestion colossaux dans des pays pauvres.
Ce qui ressort de l’enquête, aussi glaçante que passionnante, de Mickaël Correia, c’est un aveuglement qui se double d’impunité. Sourds aux rapports alarmants du GIEC et aux innombrables catastrophes naturelles, les « criminels climatiques » ne visent qu’à trouver de nouveaux gisements, à accroître leurs bénéfices, à distribuer de plantureux dividendes à leurs actionnaires. Pour y parvenir, ils missionnent d’anciens responsables politiques, pratiquent un néo-colonialisme éhonté et s’adonnent volontiers au mélange des genres, le soft power débouchant sur une réaffirmation continue de l’addiction aux hydrocarbures. Qu’importe si ce capitalisme fossile constitue une bombe à retardement ; Mickaël Correia rapporte que les géants du secteur bancaire financent abondamment leurs homologues de l’énergie. Main dans la main, ils contribuent à étioler la biodiversité, à recracher dans l’atmosphère des tonnes de gaz à effet de serre, à exploiter la terre, ses ressources et bien entendu ses indigents (combien de travailleurs morts au nom des hydrocarbures ?). Notons que l’auteur se garde bien d’ériger le nucléaire en solution d’avenir : il souligne au contraire que l’EPR accumule les retards et les dépassements de budget, sans compter qu’on ne sait que faire des énormes quantités de déchets radioactifs produits par cette industrie.
Criminels climatiques, Mickaël Correia
La Découverte, janvier 2022, 192 pages