L’auteur Nicolas Rey publie Crédit illimité aux éditions Au Diable Vauvert. L’ancien chroniqueur de France Inter y met en scène Diego Lambert, quasi quinquagénaire, mais surtout désargenté au point d’en appeler au paternel honni, directeur d’une grande entreprise de céréales.
Diego Lambert n’est pas seulement le personnage principal de Crédit illimité : il en est aussi un puissant élément perturbateur, agissant en parasite sur les ordres économique, familial, judiciaire ou psychique. C’est d’ailleurs là que l’auteur Nicolas Rey va puiser toute la dimension satirique de son roman : ce presque quinquagénaire sans le sou, fiché à la Banque de France, ancien héroïnomane, n’hésite pas à faire les poches de ses grands-parents, à porter un dernier clou au cercueil marital de sa thérapeute et à mettre fin aux agissements sournois d’un PDG, son propre père, restructurant ses entreprises au bénéfice exclusif de leurs actionnaires. Toute l’ironie amorale du récit découle de cette improbable trajectoire : diminué en tant qu’homme – car désœuvré, secrètement et désespérément amoureux de sa psychologue et sous le coup d’un interdit bancaire –, Diego Lambert va finalement jouer son va-tout en planifiant l’assassinat de son père, en multipliant les mensonges (à la justice, à sa thérapeute Anne, à ses proches), sacrifier un innocent sur l’autel de son propre salut et, à chaque fois, s’en tirer avec les honneurs.
Crédit illimité s’avère critique envers un système capitaliste broyant les travailleurs pour satisfaire aux exigences des financiers. Il est tout aussi mordant envers l’institution du mariage, perçue comme une source de désillusions, car caractérisée par la violence, l’ennui ou l’écœurement. Les relations filiales y apparaissent éminemment dysfonctionnelles, puisque Diego aime et déteste à la fois un père à l’instinct prédateur, tandis que Théo, le fils d’un imposant syndicaliste, « le haïssait pour l’ensemble de son œuvre », au point de mentir à la police pour le faire accuser d’un meurtre qu’il n’a pourtant pas commis. Ainsi, personne n’est tout à fait innocent dans le roman de Nicolas Rey : les individus sont abîmés par la vie, souvent désespérés, prêts à s’affranchir des lois, de la morale et même de l’humanité la plus élémentaire s’ils le jugent nécessaire. Il y a là un peu d’American Beauty (Sam Mendes), de The Company Men (John Wells), voire de Ressources humaines (Laurent Cantet). Dans cette première fiction pure, Nicolas Rey charpente un monde en décrépitude, plongé dans une pénombre au sein de laquelle seul l’amour inconditionnel de Diego pour sa thérapeute semble apporter un (relatif) filet de lumière.
Souvent amusant, bien troussé, délicieusement satirique, Crédit illimité demeure cependant lacunaire dans son examen du système capitalistique, se contentant d’en saisir l’écume là où un Stéphane Brizé, pour ne citer que cet exemple, se montre plus dense et transversal. Le roman se rapproche davantage du récent exercice d’Alexandre Labruffe, qui avait fait d’un jeune pompiste, dans ses Chroniques d’une station-service, un observateur privilégié de l’absurdité consommée du monde. Chez Nicolas Rey, on ne s’embarrasse d’aucun scrupule, sauf à considérer un policier dont la nuque démange quelque peu devant trop d’évidence, ou une responsable des ressources humaines dont le caractère virginal s’explique peut-être avant tout… par une absence totale dans l’action du roman. La renaissance de Diego n’a rien d’une rédemption : bien que soucieux du sort des employés qu’il est censé licencier pour le compte d’un père et industriel cynique, il ne fait que s’engoncer dans le mensonge et l’abjection, substituant une violence économique et/ou symbolique par une autre, plus tangible et exacerbée. Est-ce là le « crédit illimité » du titre ?
Crédit illimité, Nicolas Rey
Au Diable Vauvert, août 2022, 224 pages