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« Laurent Cantet, le sens du collectif » aux éditions Playlist Society

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Playlist Society publient Laurent Cantet, le sens du collectif. Après une introduction analytique de Marilou Duponchel, Quentin Mével y interroge le cinéaste français lauréat de la Palme d’or en 2008 pour le long métrage Entre les murs.

L’introduction de Laurent Cantet, le sens du collectif, rédigée par Marilou Duponchel, parvient à synthétiser en quelques pages ce qui fait l’essence du cinéma de Laurent Cantet. Il y a d’abord ce regard comparé à celui d’un entomologiste, consistant à envisager chaque film comme une exploration, avec des sédiments sociaux prégnants et une volonté de prendre langue avec le fait politique, mais en « je », une individualité pourtant porteuse de ce fameux « sens collectif » associé au réalisateur dans le titre de l’ouvrage. La journaliste aux Inrocks poursuit sa réflexion en épinglant quelques thèmes récurrents : une jeunesse en voie de construction ou d’émancipation, la quête de soi-même, parfois de son identité, via la place qui nous est dévolue dans notre environnement immédiat, des espaces clos envisagés en résonance directe avec les personnages, la critique du patriarcat, le féminisme… Mais Laurent Cantet, c’est aussi une méthode, collégiale, impliquant des comédiens amateurs, accordant une place privilégiée à l’improvisation, soit autant de choses que l’on retrouve abondamment commentées dans l’entretien-fleuve mené par le co-auteur Quentin Mével.

L’échange entre Quentin Mével et Laurent Cantet forme l’essentiel du texte. Évoquant la filmographie du cinéaste français dans le strict respect de sa chronologie, ils déconstruisent un modus operandi tout en en éclairant les composantes essentielles déjà mises en exergue, pour partie, par Marilou Duponchel. Laurent Cantet y expose le recours aux acteurs amateurs comme une réponse à la facticité et une manière de saisir une énergie spontanée. Il explique que ses collaborateurs les plus fidèles, notamment ceux de Sérénade Productions, lui ont donné le courage de se lancer dans la réalisation. Il énonce longuement la place qu’occupent les improvisations dans sa manière d’écrire et concevoir un film. Enfin, il revient plus généralement sur la distance et la symbiose qui doivent s’opérer entre la caméra et le sujet filmé, chaque film (ou presque) étant défini par une grammaire spécifique en la matière.

Dans le détail, Laurent Cantet est amené à commenter les relations père/fils au cœur de Jeux de plage ou Ressources humaines, à verbaliser de quelle manière agissent sur ses personnages les espaces clos (y compris à ciel ouvert, comme les terrasses cubaines de Retour à Ithaque), à s’épancher sur ses collaborations avec Arte et Pierre Chevalier ou avec son fidèle coscénariste Robin Campillo ou à raconter ses expériences d’adaptation pour Vers le sud, Entre les murs ou Retour à Ithaque. Mais chaque film est l’occasion de creuser plus avant ses spécificités : Jalil Lespert se révèle dans Les Sanguinaires, Ressources humaines porte l’authenticité en bandoulière et narre un schisme entre son milieu social d’origine et sa position hiérarchique dans une entreprise, L’Emploi du temps s’appuie sur un fait divers, ne révèle son personnage qu’au compte-gouttes et l’enveloppe souvent à dessein dans un cadre serré, Vers le sud contient des confessions face caméra et comporte une critique du puritanisme/patriarcat occidental, Entre les murs marque l’avènement du numérique et de la multiplicité des objectifs, Foxfire fait le deuil de la francité et se distingue par un montage de 143 minutes…

Laurent Cantet, le sens du collectif est un voyage guidé au sein d’une filmographie cohérente et sophistiquée. Quentin Mével invite le réalisateur français à mettre à nu ses motifs et méthodes de travail. Ce qui en ressort est parfaitement résumé par Marilou Duponchel au cours de son analyse introductive. Ensemble, ces deux volets, exploratoire et maïeutique, donnent à voir un cinéma au plus près de ses protagonistes et des faits sociaux sous-jacents, où les films entrent en résonance les uns avec les autres, selon des logiques narratives et formelles relativement fermes.

Laurent Cantet, le sens du collectif, Marilou Duponchel et Quentin Mével
Playlist Society, février 2022, 144 pages

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