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« Capitalisme et progrès social », une réconciliation est-elle possible ?

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Membre du Cercle des économistes et professeur associé à l’université Paris-Dauphine, Anton Brender publie aux éditions La Découverte, dans la collection « Repères », une étude compendieuse sur les liens, évolutifs, entre le capitalisme et le progrès social.

« Une économie capitaliste ne peut prospérer si la consommation ne progresse pas à un rythme suffisant. »

Dans un ouvrage concis mais nécessaire, Anton Brender développe patiemment cette assertion, en s’appuyant sur l’histoire économique des XXe et XXIe siècles. L’économiste français ne voit, par essence, aucune incompatibilité entre le capitalisme et le progrès social, mais explique toutefois comment le « laisser-faire » observé dès les années 1970 a mis à mal les économies occidentales.

Après la Seconde guerre mondiale, les pays développés vivent pourtant une sorte d’âge d’or : le chômage atteint sa portion congrue, les salaires progressent, les conditions de vie et de travail s’améliorent. Du capitalisme découle un capital social encore inespéré quelques décennies plus tôt : écoles, tribunaux, hôpitaux, centres de recherches donnent lieu à des travailleurs mieux formés, vivant plus longtemps et en meilleure santé, au respect des lois et de la propriété privée, ainsi qu’à un progrès technique permanent. Si le renforcement du droit social précède 1945 (voir le Front populaire en France), des politiques macroéconomiques ambitieuses établissent les conditions du plein-emploi après la guerre.

Anton Brender démontre que les dirigeants politiques occidentaux se sont ensuite accommodés d’une globalisation et d’une financiarisation portant atteinte à leurs propres intérêts. Dès les années 1970, les activités intensives en main-d’œuvre sont délocalisées dans les pays à bas coûts salariaux. La Corée du Sud, Taïwan, puis surtout la Chine deviennent les ateliers du monde, avant de monter dans les chaînes de valeur (ce qui occasionna d’importants « transferts » d’emplois). La concurrence internationale passe alors par des logiques néfastes aux sociétés et aux travailleurs : pressions sur les salaires, optimisation fiscale, autonomisation, désindustrialisation, stagnation ou dégradation du stock de capital public, etc. La révolution informatique occasionne ensuite un nouveau bouleversement : les postes intermédiaires disparaissent au profit d’emplois plus qualifiés, mieux rémunérés, mais plus rares.

À mesure que le capitalisme se transforme et que le « laisser-faire » prospère (par complaisance, par résignation, par idéologie…), le progrès social tend à s’amenuiser. Pis : des problématiques environnementales ou migratoires s’ajoutent à des taux d’emploi en berne et des économies déprimées, en butte à la trappe à liquidité. C’est précisément en cela que l’ouvrage d’Anton Brender nous apparaît indispensable : il rappelle que la démocratie doit guider le capitalisme et qu’une reconfiguration de ce dernier s’inspirant de l’expérience sociale-démocrate est probablement plus judicieuse qu’un appel à son dépassement, vu ici comme un saut dans l’inconnu.

Notons enfin qu’à l’instar de Bruno Tinel, l’auteur dédramatise la question de la dette publique. Il rappelle que le passif des uns correspond à l’actif des autres (liens évidents entre dettes publiques et épargne privée). Et il suggère qu’une relance budgétaire demeure le meilleur moyen de susciter, par la demande, un cercle vertueux d’investissements, de créations d’emplois et de hausses de salaires.

Capitalisme et progrès social, Anton Brender
La Découverte, février 2020, 128 pages

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