Les éditions EPA publient Bruce Springsteen, la totale, une somme de plus de 600 pages consacrée à l’artiste-phare du rock américain. L’occasion de revenir sur chacune de ses chansons et de démystifier une figure publique incontournable.
Émergeant d’un New Jersey en pleine effervescence, dans les sixties, Bruce Springsteen, aujourd’hui icône du rock américain, amorce une trajectoire artistique dont les premières envolées musicales se teintent d’influences folk et soul, comme en témoignent les divers groupes de la région qu’il accompagne, de Steel Mill aux Castiles. En 1972, Springsteen signe avec Columbia Records. C’est le début de son ascension à l’échelle nationale. Son premier album, Greetings from Asbury Park, N.J., paraît en 1973 et dévoile un art brut, enchâssé dans une écriture poétique et une musicalité réfléchie. La reconnaissance mondiale ne tarde pas, puisque la sortie de Born to Run en 1975 lui offre ses lettres de noblesse. Mieux, l’opus devient, au fil des années, un classique intemporel du rock. Born in the U.S.A (1984) consolide quelques années plus tard sa position de chanteur emblématique, capable de s’adresser, presque en prise directe, à l’âme collective américaine.
Au fil des décennies, Bruce Springsteen a collectionné les Grammy Awards, ajoutant des trophées du Rock and Roll Hall of Fame et de l’Academy Award à son palmarès. Il a fait preuve d’une créativité constante et d’un dévouement à la scène musicale qui continuent d’inspirer les nouvelles générations. Son impact sur la culture populaire est difficile à mesurer, mais il transcende la musique et se porte jusqu’au cœur des préoccupations sociales. L’artiste n’a en effet jamais hésité à incorporer des éléments de la condition ouvrière et des idéaux américains dans ses textes, établissant de ce fait des ponts entre l’art et le réel. Ses chansons, mâtinées d’espérance et de résilience, ont permis d’illustrer l’expérience humaine sous des angles multiples. Et le cinéma n’a pas été en reste, puisqu’il a, à plusieurs reprises, de Philadelphia à The Wrestler, intégré des compositions de l’artiste.
Son militantisme pour les droits de l’homme, matérialisé par des concerts de bienfaisance et des prises de position, a confirmé un statut d’artiste engagé. La pérennité de Springsteen, attribuable en partie à ses performances scéniques vibrantes et son contact authentique avec ses fans, voisine avec des propositions musicales ayant inspiré d’autres artistes tels que Melissa Etheridge ou Eric Church. Authenticité, intégrité, maestria : Bruce Springsteen n’est pas devenu par hasard un puissant symbole de la musique américaine. Aujourd’hui, il reste une figure majeure et essentielle de la culture états-unienne, ayant écoulé plus de 100 millions d’albums à travers le monde.
En dressant un panorama complet de sa carrière, en décortiquant ses plus de 300 chansons, en revenant sur ses liens inextricables avec les « oubliés de l’Amérique », Bruce Springsteen, la totale s’attache à traduire, sur plus de 600 pages, les fondements d’une discographie inépuisable, indexée à une figure publique incontournable.
Des morceaux emblématiques
C’est un morceau qui revisite les classiques du rock des années 1950 et 1960 mais qui sort de l’imagination fertile d’un chanteur et guitariste post-Vietnam et Watergate. Un manifeste de jeunesse épris de liberté, conçu pendant une période de doute et d’insécurité financière. Une chanson à travers laquelle s’est exprimée toute l’exigence de Bruce Springsteen. Des riffs de guitare puissants, des paroles sombres et un refrain entraînant formant ensemble un hymne de la culture rock. « Born to Run » fait évidemment partie des morceaux les plus célèbres de l’artiste et est notamment cité dans la série Les Soprano. Sur le même album se trouve « Thunder Road », une ballade plusieurs fois réécrite, décrivant un voyage plein d’espoir, de romantisme mais aussi de défiance, caractérisée par une composition pianistique sensible et des paroles qui ont su captiver les auditeurs, tout en introduisant l’univers de Born to Run.
Difficile d’évoquer Bruce Springsteen sans « Born in the USA ». Ce titre, glissé dans un album éponyme, constitue un commentaire poignant sur l’expérience douloureuse des vétérans de la guerre du Vietnam. Malgré son rythme entraînant et son refrain accrocheur, son message sous-jacent donne à voir un patriote profondément désabusé. Cette protest song se range du côté des cols bleus de l’Amérique rurale, engagés dans un conflit qui ne rime décidément à rien. Elle sera pourtant considérée comme une glorification de la fierté américaine par bon nombre de personnes. Paradoxal.
Le mot est lâché, et on comprend à la lecture de Philippe Margotin et Jean-Michel Guesdon qu’il colle assez bien aux chansons composées par Bruce Springsteen. Une déclaration d’espoir et de résilience face à l’adversité (« Badlands », 1978) précède un titre d’une délicatesse rare, « Streets of Philadelphia » (1993), écrit pour le film de Jonathan Demme Philadelphia et traitant de la pandémie de SIDA. Une chanson d’amour passionnée telle que « Rosalita (Come Out Tonight) » (1973) n’est jamais loin d’une proposition plus sombre et désespérée comme « Atlantic City » (1982).
« Dancing in the Dark » (1984), « The River » (1980) ou « Brilliant Disguise » (1987) pourraient également être épinglées, parmi des dizaines d’autres morceaux naviguant entre espoir et déception, entre légèreté et amertume, entre mélodies irrésistibles, folk mélancolique, écriture introspective ou tonalités douces-amères. Car Springsteen était un peu tout cela à fois : proche des « petits », d’une ardeur communicative, avec toujours ce quelque chose de grinçant en suspens.
Bruce Springsteen, la totale, Philippe Margotin et Jean-Michel Guesdon
EPA, mai 2023, 672 pages