Avant les diamants: le roman noir sur le cinéma américain des années 50

Chloé Margueritte Reporter LeMagduCiné

Avant les diamants de Dominique Maisons est un roman mi-réel, mi-fantasmé. C’est surtout un roman de l’envers du décor hollywoodien. Un récit choral d’une grande maitrise et surtout très sombre. On y croise des figures connues et des personnages hauts en couleurs, autour d’une réflexion sur la beauté, les acteurs et l’argent. Un grand polar à la James Ellroy.

Résumé : Hollywood, 1953. L’industrie cinématographique est un gâteau fourré à l’arsenic que se disputent la mafia, l’armée et les ligues de vertu catholiques. Dans ce marécage moral et politique, ne survivent que les âmes prêtes à tout. Le producteur raté Larkin Moffat est de ceux-là. Abonné aux tournages de séries B, il fait vivoter les crève-la-faim du cinéma et enrage contre ce système qui l’exclue. Jusqu’au jour où il se voit proposer la chance de sa vie. Dans cette combine dangereuse vont graviter autour de lui le major Buckman, parieur et coureur invétéré, le très ambivalent père Santino Starace, l’impresario et proxénète Johnny Stompanato. Tous vont croiser leurs destins, multiplier les manœuvres et les crimes dans ce grand cirque du cinéma américain. Alors que défilent les Errol Flynn, Clark Gable, Hedy Lamarr et autres Frank Sinatra, ce petit monde sans scrupule va s’adonner à ce qu’il sait faire de mieux : manipuler les masses et veiller à son profit.

Sunset Boulevard 

Les personnages s’écrivent avec force dans Avant les diamants. Ils s’appellent Larkin, Santino, Johnny, Annie, Chance, Liz. Tous déploient leurs ailes tentaculaires avec un objectif : faire du cinéma. Mais les volontés ne sont pas les mêmes : faire passer des messages, gagner de l’argent, être acteur reconnu… Ou simplement étendre son pouvoir. Tout est fait ici pour créer une immersion dans l’année 1953 à Los Angeles. Il y a ce qu’il faut de réel pour nous plonger dans le décor (les références aux biographies des acteurs comme Errol Flynn ou Clark Gable nourrissent le roman), l’ambiance. Ensuite, le romancier Dominique Maisons déploie ses propres tentacules et entraîne le lecteur dans sa noirceur. Le cinéma devient ici un instrument aux mains de l’armée, de l’église, de la mafia. Rien n’échappe au romancier et il n’épargne aucun de ses personnages. On s’attache facilement à eux, enfin certains d’entre eux. En effet si Didi, Liz ou encore Annie nous apparaissent perdues mais aimables, touchantes, Larkin Moffat, le producteur véreux et violent (en plus d’être mysorine, jaloux et alcoolique) a notre désapprobation dès les premières lignes. Avec deux millions de dollars, la mission de tout ce petit monde est de concurrencer les grands studios. Rien n’est moins sûr, les affres des petits arrangements et des grands crimes entremêlant les destinées de nos personnages jusqu’à une fin apocalyptique à souhait. Une véritable claque dans la figure du lecteur.

Au-delà des apparences

Le livre est écrit avec un rythme effréné, les liens entre les personnages tissent peu à peu une toile gigantesque. Or, on ne sait plus vraiment qui est pris au piège, tant tous plongent dans l’horreur. Dominique Maisons parle autant de la frénésie des tournages que de la violence d’une relation de couple basée sur une promesse chiffrée. Il est aussi habile à parler scénario que violence domestique. Et chaque fois, ses récits nous glacent, car plus on poursuit la lecture, plus l’horreur suivante est pire que la première. Pourtant, avec les récentes affaires #metoo, nul n’ignore plus que faire du cinéma peut être un véritable enfer. Si les femmes s’y sont habituées, Didi s’y refuse. Non, elle ne fera décidemment pas du cinéma à n’importe quel prix. Dommage qu’elle le comprenne trop tard… Quand un personnage tente de se détacher de la toile, l’araignée l’enserre deux fois plus et le dévore. Dominique Maisons emploi un ton entre humour et sens du détail, du glauque, mais le tout avec une extrême fluidité. Son écriture très imagée est d’autant plus appréciable dans ce roman sur le cinéma. C’est un récit qui porte bien son nom : que sont les gens du cinéma en dehors des plateaux, avant le succès ? Toutes ces questions sont abyssales et passionnantes.

Beauté volée

La plus passionnante et vertigineuse reste la réflexion que Dominique Maisons propose sur la beauté. On est à la fois dans Le Congrès (Ari Folman) et dans Sunset Boulevard (Billy Wilder). Entre l’affaire de la « beauté volée » et le regard sur les femmes du cinéma, tout repose sur la capacité d’une machine à fantasmes à ne pas être dans une dérive permanente. « L’acteur a pour fonction d’attirer, et le meilleur moyen d’attirer est d’être beau. Un être humain qui de son propre choix décide de devenir le point de mire de la curiosité générale porte en lui une insécurité fondamentale, installée bien avant qu’il ne fasse ce choix […]. S’il veut rester désirable, l’acteur doit ajouter quelque chose de plus durable que la beauté. […] Tout ce que nous cachons au fond de nous-même, vous faites de votre mieux pour le montrer, ce que nous serions honteux d’avouer, vous n’avez de cesse de courir les plateaux assez éclaboussés de lumière pour le proclamer à grands cris […]. Vous êtes la plus grande imposture de l’histoire de l’art. Je veux percer à jour ce mystère, en comprendre les mécanismes et toucher votre vérité du doigt ». A-t-on écrit plus beau sur les acteurs ? Ce qui frappe surtout, c’est que ces mots, qui semblent être comme la note d’intention d’Avant les diamants, sont prononcés par un réalisateur ayant quitté le système. Il a quitté le système et faire un film avec lui (qui ne sortira jamais) est un tel don de soi qu’il en devient dangereux pour la vie même, le psychisme de l’acteur. Cette ambiguïté permanente, ce regard désabusé sur une industrie dévastatrice sont les grandes forces d’un roman qu’on rêverait de voir adapté à l’écran.

Atomic Bomb

Au-delà, on sent l’amour de l’auteur pour le cinéma, son regard critique aussi, et son goût pour l’outrance qui sont un régal. Et c’est lui, peut-être, qui en parle le mieux : « Nous vivons encore aujourd’hui dans un monde dominé par une propagande consumériste frénétique. Ce n’est pas rejeter le cinéma (je l’adore) que de prendre conscience du discours qu’il véhicule et retrouver un regard critique. Beaucoup de choses se sont jouées dans le Los Angeles de l’après-guerre, et ces enjeux sont bien moins futiles qu’on pourrait le croire ». Avant les diamants est aussi le récit de la fin d’un monde qui pourtant n’a de cesse de renaître de ses cendres et dans lequel l’autodestruction est maîtresse. Pas étonnant donc que ce roman commence par une « atomic bomb party », soit une fête dédiée à l’explosion d’une bombe appelée Annie. C’est l’effet que le roman fait sur son lecteur.

Avant les diamants, Dominique Maisons
Points, août 2021, 552 pages

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