« Atlas historique de l’Afrique De la préhistoire à nos jours » : histoire d’un continent qui a fait l’Histoire

Les éditions Autrement sortent un atlas consacré à l’Histoire de l’Afrique, coordonné par François-Xavier Fauvelle, professeur au Collège de France, et Isabelle Surun, professeure à l’université de Lille. Clair et instructif à défaut d’être exhaustif, il vient combler un vide dans son domaine, prenant garde d’éviter les clichés d’une Afrique essentialisée et envisagée seulement d’après le repère de la période coloniale.

« L’homme africain n’est pas assez rentré dans l’Histoire », avait affirmé l’ancien président français Nicolas Sarkozy en 2007, lors de son fameux discours de Dakar, rédigé par son conseiller Henri Guaino. Au-delà de l’évidente dimension paternaliste du discours, plusieurs choses interpellent dans cette phrase. Qui est cet « homme africain » ? Est-il marocain ou malgache, éthiopien ou sénégalais ? Et pourquoi seulement se soucier de « l’homme », d’ailleurs ? Un homme qui, pas plus que sa mère, sa sœur ou sa fille, ne serait donc pas (assez) « rentré » dans l’Histoire. S’il n’y est pas « rentré », on doit en conclure que celle-ci se déroule ailleurs qu’en Afrique. Henri Guaino est un homme lettré, il n’est pas sans ignorer que l’Afrique a une Histoire, comme chaque continent en a une, mais il sous-entend que celle-ci est d’une valeur moindre à celle, mettons, de l’Europe. L’homme africain, essentialisé, masculinisé, infantilisé (« la nostalgie du paradis perdu de l’enfance »), ne rentrerait vraiment dans l’Histoire que s’il intégrait celle de son ancien colonisateur. S’il cessait d’être africain, en somme.

L’Atlas historique de l’Afrique paru chez les éditions Autrement, et supervisé par les historiens François-Xavier Fauvelle et Isabelle Surun, ne cite pas ce discours mais semble y répondre en évoquant dans sa conclusion « l’inventivité des sociétés africaines dans l’appropriation, la transformation et la réinvention des formes culturelles », affirmant que « déni[er] aux acteurs africains leur capacité à faire histoire » équivaut à « rééditer symboliquement cette violence », celle de la colonisation. La démarche consiste ici à « renouer les fils, dans l’espace et dans le temps, entre les sociétés qui s’y sont côtoyées ou succédé, aussi bien qu’avec celles, plus lointaines, des autres continents », en s’appuyant sur des exemples choisis en tous lieux et à toute époque de l’Histoire africaine.

L’Afrique n’est cependant pas un bloc homogène, et il faut ainsi se méfier de toute essentialisation. De même, concevoir cette Histoire selon une trame chronologique avant / pendant / après la colonisation revient à regarder le continent africain uniquement dans le cadre de ses rapports avec l’Europe et le reste du monde, rapports qui, du reste, sont très largement antérieurs à l’arrivée des premiers explorateurs portugais à la fin du XVème siècle. Fauvelle et Surun ont ainsi opté pour un division en cinq périodes : l’Afrique ancienne (de la préhistoire au XVème siècle), l’ère moderne (XVème-XVIIIème), l’Afrique souveraine du XIXème siècle, l’Afrique coloniale et enfin l’Afrique depuis les années 1960.

Un tel découpage, qui plus est dans un atlas d’une centaine de pages, nécessite évidemment de faire des choix. L’intérêt de cet atlas réside notamment dans sa tendance à éviter de s’attarder sur les périodes et les événements que le lecteur est susceptible de déjà bien connaître, comme l’Egypte pharaonique ou la guerre d’Algérie. Lorsqu’il le fait, c’est sous un angle qui sort des chemins battus (les origines et l’idéologie derrière l’apartheid plutôt que le récit de sa chute). Pour le reste, il s’agit de faire ressortir la variété qui caractérise l’Histoire de l’Afrique, en retraçant celle d’importants Etats disparus (le Borno au XVIème siècle, le Sokoto au XIXème), mais aussi celle d’Etats qui ont dans l’ensemble subsisté sous d’autres noms (le Dahomey/Bénin ou l’Ashanti/Ghana) et de certaines régions qui ont su évoluer sous différentes formes pendant des siècles tout en conservant une certaine unité (Ethiopie).

La volonté de remettre l’Afrique au centre de l’Histoire du monde constitue l’autre point fort de cet ouvrage. Prenant soin de rappeler que l’« homme africain » qu’était homo sapiens est sorti d’Afrique il y a 115000 ans pour se propager aux quatre coins du globe, les auteurs remettent en perspective toutes les connexions établies au sein du continent (ni le Sahara ni la forêt équatoriale ne constituèrent des barrières) et hors de celui-ci, au niveau de l’interface méditerranéenne ou de l’ouverture sur l’Arabie, l’Inde et la Chine, opérée notamment par la civilisation swahilie. Quant à l’implantation progressive de l’islam dans une large moitié nord du continent, elle recoupe ces deux dimensions géographiques, par son origine extérieure au continent et son influence majeure sur le développement du commerce médiéval.

Au fur et à mesure qu’on se rapproche de notre période, apparaît toutefois l’unique défaut de cet atlas : trop court et ne visant nullement à l’exhaustivité, il laisse de côté certaines régions (l’Afrique australe hors Afrique du Sud, le Maghreb) et certains Etats sur lesquels il aurait été intéressant de revenir (songeons par exemple à la création du Liberia au XIXème siècle par des Américains blancs désireux d’y envoyer les esclaves affranchis). De même, s’il revient de manière très claire sur certains conflits complexes (le génocide rwandais, les guerres en RDC) ou sur la question des migrations (très majoritairement internes au continent), l’Atlas fait l’impasse sur certaines questions tout aussi brûlantes : la présence de groupes islamistes dans certains pays (Mali, Nigeria), les enjeux du réchauffement climatique sur le continent, ou encore les contours de ce qu’on appelle désormais la Chinafrique. En somme, les textes et les cartes présents dans cet atlas sont tous clairs et instructifs, mais on en aurait justement aimé un peu plus. Pour une future réédition ?

Atlas historique de l’Afrique. De la préhistoire à nos jours, François-Xavier Fauvelle et Isabelle Surun (dir.)
Autrement, octobre 2019, 96 pages