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« Atlas des migrations » : objectiver les mouvements de populations

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Aux éditions Autrement paraît un ouvrage de Catherine Wihtol de Wenden intitulé Atlas des migrations. Illustré par les cartes et graphiques de Madeleine Benoit-Guyod, il s’intéresse aux flux migratoires selon des perspectives historique, économique, démographique et climatique.

Ces dernières années, la migration a été placée au frontispice de nombreux discours et programmes politiques. En 2015, l’afflux de réfugiés syriens fuyant la guerre civile à destination de l’Union européenne a d’ailleurs replacé la thématique au centre des attentions médiatiques et, partant, du débat public. Un peu plus tard, c’est Donald Trump qui battait le fer chaud en promettant la construction d’un mur séparant les États-Unis et le Mexique sans porosité. Entretemps, la question des réfugiés climatiques – qui devraient atteindre les 150 à 200 millions entre 2050 et 2100 – n’a cessé de se poser de manière de plus en plus insistante. À travers son Atlas des migrations, Catherine Wihtol de Wenden, professeure émérite à Science Po Paris et membre du CERI, a le mérite d’apporter du factuel là où l’émotionnel a trop souvent prédominé.

La Convention de Genève de 1951 a pour but de protéger les individus opprimés en raison de leur opinion politique, leur race, leur religion ou encore leur orientation sexuelle. Comme le rappelle avec à-propos Catherine Wihtol de Wenden, des situations humanitaires ou sécuritaires spécifiques ont pu cependant aboutir à une inflation des demandes d’asile. Certains migrants se trouvent par ailleurs dans une zone grise, ni tout à fait expulsables ni régularisables. Les plus grands pourvoyeurs de réfugiés sont actuellement la Syrie, la Colombie, le Congo, le Yémen ou encore l’Afghanistan. Mais ce qui motive la migration peut prendre des formes très diverses : économique, démographique, climatique, touristique ou encore sanitaire. Depuis les années 1980, on assiste ainsi à un boom des migrations internationales : de 77 millions en 1975, elles tourneraient aux alentours des 272 millions en 2020. L’auteure en rappelle toutes les composantes. La migration sud-sud est en effet bien plus fréquente qu’on ne le pense généralement, de même que les départs d’un pays occidental vers un méridional, par exemple dans le cas de retraités en quête de soleil.

Catherine Wihtol de Wenden note à cet égard une forme de bipolarité. 85% des habitants du Sud voient leurs voyages subordonnés à l’obtention d’un visa, un chiffre sans commune mesure avec les pays du Nord. Cette migration est parfois exclusivement touristique. L’Organisation mondiale du Tourisme chiffre à 1,8 milliards le nombre de voyageurs vacanciers. Des pays tels que la Grèce, Chypre, la Tunisie, le Maroc ou l’Egypte ont une économie très dépendante et sensible au tourisme. L’élargissement européen de 2004 a occasionné d’autres flux migratoires : Polonais et Roumains ont respectivement cherché à s’établir en Angleterre/Allemagne et en Italie/Espagne, souvent à des fins professionnelles. L’Europe de l’Est a fourni à ses voisins occidentaux des travailleurs susceptibles de pallier les besoins de leur marché domestique. Elle s’est en revanche montrée plus sourcilleuse quant il s’est agi de répartir les migrants syriens, comme ont pu en témoigner les positions conservatrices du groupe de Visegrad, composé de la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République tchèque.

L’Atlas des migrations est aussi l’occasion de prendre le pouls des différentes régions du monde. La Russie voit les Chinois s’intéresser à ses vastes espaces peu habités mais riches en matières premières, en Sibérie et dans l’extrême-Orient. Les ressortissants de Pékin abondent aussi en Afrique pour y exploiter les ressources naturelles ou travailler sur les chantiers. Au Proche et Moyen-Orient, les minorités chrétiennes opprimées gonflent les rangs d’une migration essentiellement liée aux conflits armés (Irak, Syrie, Yémen, Afghanistan). En 2019, un migrant sur trois était par ailleurs asiatique : on dénombrait par exemple 11 millions de Chinois et 18 millions d’Indiens, tous statuts confondus. La Chine compte aussi quelque 270 millions de migrants internes fuyant le chômage et les campagnes. Un exode rural que connaît également l’Inde. Les migrations interasiatiques s’avèrent parfois motivées par le déclin démographique. En 2050, le Japon aura perdu 37 millions d’habitants, soit un quart de sa population, ce qui engendre un besoin croissant en main-d’œuvre que Philippins, Chinois ou Coréens ont commencé à combler.

Les diasporas, la situation migratoire en France ou en Allemagne, l’Europe comme terre d’immigration, les 35 000 morts en Méditerranée entre 2000 et 2017, les 3,5 millions de Syriens en Turquie, les 25 millions de migrants (souvent de voisinage) latino-américains, l’exode des cerveaux (une dizaine de pays africains ont 40 % de leurs concitoyens hautement qualifiés en dehors de leurs frontières) : tous ces sujets sont passés en revue par Catherine Wihtol de Wenden qui, à défaut de les épuiser, y ouvrent des champs de réflexion intéressants. Enfin, les États-Unis figurent évidemment en bonne place dans l’ouvrage. Le pays, historiquement lié à l’immigration, compte 51 millions de migrants, soit 13 % de sa population totale. Ces derniers occupent surtout quatre métropoles importantes : Chicago, Houston, New York et Los Angeles. Oscillant entre assimilation et multiculturalisme, les Américains voient les « Chicanos » former un groupe de plus en plus nombreux et influant politiquement. À titre illustratif, on compte ainsi, parmi les immigrés aux États-Unis, pas moins de 29 % de Mexicains.

Atlas des migrations, Catherine Wihtol de Wenden
Autrement, avril 2021, 96 pages

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