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« Atlas des États-Unis » : une superpuissance tout en nuances

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Géographes et enseignants à l’Université, Christian Montès et Pascale Nédélec proposent un Atlas des États-Unis agrémenté de plus de 120 cartes (conçues par Cyrille Suss), de statistiques actualisées, et duquel résulte un portrait nuancé d’un pays aussi vaste que riche, où les contradictions et les inégalités demeurent nombreuses.

Les États-Unis occupent une place particulière dans le monde : non seulement ils ont longtemps prétendu en être le gendarme, mais ils l’abreuvent en outre de produits culturels et d’images normatives, tant cinématographiques que promotionnelles. Leurs élections présidentielles sont, à titre d’exemple, les plus suivies au monde, déchaînant des passions qu’on ose à peine imaginer dans les cénacles européens. À cet égard, l’ouvrage de Christian Montès et Pascale Nédélec s’avère d’une pertinence indiscutable : les deux géographes dépassent les lieux communs pour y apporter toutes les nuances dont se pare cette superpuissance mondiale, la première en termes économiques, militaires et de soft power.

Les auteurs reviennent d’abord sur l’Amérique précolombienne, puis l’arrivée des colons blancs et leur économie mercantiliste, jusqu’à l’indépendance obtenue de haute lutte en 1783. Les Treize colonies qui composaient alors le pays ne se jugeaient pas administrées démocratiquement par l’Angleterre, ce qui a entraîné des vagues de protestation, dont la Tea Party de 1773 est éminemment symptomatique. L’indépendance des États-Unis naît à cette époque du refus de toute ingérence de la Couronne britannique. Pendant un siècle, l’Amérique libérée de ses carcans coloniaux s’étend à l’Ouest, et grignote peu à peu le territoire mexicain. Elle annexe la Floride en 1819, puis le Texas indépendant en 1845, avant que l’Alaska ne lui soit vendu par la Russie en 1867 et Hawaï, colonisée en 1898.

Immigration, sociologie et territoire

Entre 1880 et 1920, les États-Unis accueillent 24 millions d’étrangers sur leur territoire. Le pays demeure jusqu’à aujourd’hui le premier pôle d’accueil du monde, même si les immigrés actuels sont essentiellement des travailleurs hautement qualifiés – les quotas par nationalité ont été arrêtés en 1965. Il est à noter que la grande majorité des candidatures pour l’obtention d’un visa de travail proviennent aujourd’hui de l’Inde et la Chine, les deux géants asiatiques. L’Amérique est en revanche très peu pourvoyeuse d’expatriés, puisque seulement 6 à 8 millions de leurs ressortissants vivent en dehors du pays. L’élection de Donald Trump a contribué à remettre en lumière les tensions raciales qui agitent la société. Il n’est pas inutile de rappeler, à cet égard, que les Blancs devraient être minoritaires en 2040 et que le métissage continue d’avancer pas à pas. Christian Montès et Pascale Nédélec explicitent très bien ces questions, auxquelles se mêlent d’autres considérations, économiques comme territoriales.

Le territoire, justement, fait l’objet de plusieurs entrées instructives. Les auteurs rappellent notamment la pluralité des paysages américains, mais aussi qu’un tiers du pays est couvert de forêts et que, bien que de petites villes continuent de disparaître régulièrement, la ruralité se révèle souvent dynamique et même parfois confortablement pourvue en infrastructures, à l’image de Gordon, dans le Nebraska. Le quart nord-est du pays demeure le plus puissant économiquement, culturellement et politiquement, mais son influence tend à décroître. Les divisions religieuses sont également très marquées géographiquement : les baptistes, les catholiques, les luthériens ou les méthodistes ont chacun leur zone de prévalence. Et lorsque l’on se penche sur les 270 millions d’armes en circulation, on constate que des divergences profondes persistent dans la régulation et dans les statistiques de possession : le port d’armes visible est ainsi interdit en Floride, mais autorisé sans permis au Texas ; presque 62% de citoyens sont armés dans le Montana ou le Nouveau-Mexique, tandis que les chiffres s’avèrent plusieurs fois inférieurs à New York ou en Californie.

Société et économie

Sans surprise, Christian Montès et Pascale Nédélec accordent une large place aux paramètres économiques. Si les États-Unis conservent des indicateurs flatteurs, les auteurs nous invitent à considérer l’ampleur de leur dette publique, ainsi que le rattrapage opéré par la Chine ces dernières décennies. D’autres questions méritent évidemment réflexion. Les Américains s’arrogent à eux seuls 17% de la consommation énergétique mondiale, alors qu’ils ne représentent que 4,25% de la population. Si leur économie demeure résiliente, force est de constater que les inégalités demeurent criantes et que les crises tendent à les accroître. Les emplois industriels se raréfient, tant dans l’automobile ou le textile que dans l’acier, poussant toujours plus loin la logique d’une économie axée sur la connaissance, l’information et le partage.

Les auteurs reviennent par ailleurs sur l’american way of life, porté dans l’imaginaire collectif dès les années 1930, et regroupant la propriété immobilière (encouragée par des mesures fédérales), la possibilité d’ascension sociale (en dépit d’importantes inégalités), mais aussi des idéaux d’égalitarisme et de liberté (économique, religieuse, idéologique…). L’obésité, importante, s’est surtout développée dans le sud-est du pays. Les États-Unis demeurent de gros consommateurs de graisse et de protéines animales. La voiture s’est imposée au fil du temps comme un symbole américain par excellence et le nombre moyen de voitures par ménage ne cesse de croître (2,19 en 2018). On dénombre par ailleurs pas moins de 40 millions de pauvres dans ce qui demeure le quatrième pays le plus riche du monde en PPA.

Enfin, par souci d’exhaustivité, notons que Christian Montès et Pascale Nédélec expliquent également en quoi le fédéralisme se nourrit des crises, tandis que le néolibéralisme tend au contraire à l’amoindrir, avec un désengagement relatif observé depuis le virage reaganien des années 1980. Ils évoquent aussi l’importance de l’armée, de ses innovations (l’industrie militaire américaine demeurant à la pointe), ainsi que de ses capacités de projection incomparables, qui font des États-Unis, encore aujourd’hui, et fût-ce sur un mode mineur, les gendarmes du monde. Il faut cependant, parallèlement, rappeler que la confiance envers les Américains est en baisse depuis l’avènement de Donald Trump, surtout en comparaison avec les années Obama.

Et si, finalement, comme le précise la conclusion de ce très bel atlas, « l’originalité des États-Unis résiderait […] dans l’ambiguïté de la fascination qu’ils inspirent, entre modèle et repoussoir, entre rêve et cauchemar » ?

Atlas des États-Unis, Christian Montès et Pascale Nédélec
Autrement, janvier 2021, 96 pages

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