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« Atlas de l’Europe » : passé et futur du vieux continent

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Aidé en cela par la cartographe indépendante Aurélie Boissière, les spécialistes en sciences politiques et en géopolitique Pierre-Alexandre Mounier et Frank Tétart publient aux éditions Autrement un Atlas de l’Europe didactique et passionnant.

Née au lendemain de la Seconde guerre mondiale, l’Europe – qui tire son nom d’une femme enlevée et violée par Zeus sur l’île de Crête – est une Communauté multiculturelle, très morcelée linguistiquement et politiquement, façonnée par la proximité géographique, et suscitant autant d’admiration que de réprobation. Les auteurs Frank Tétart et Pierre-Alexandre Mounier rappellent toutefois que l’idée européenne n’allait originellement pas forcément de soi : partie intégrante de l’Eurasie, dont elle forme une sorte d’excroissance, l’Europe n’est autre qu’une péninsule encadrée dont la matérialisation politique fut avant tout motivée, comme l’a jadis expliqué Paul Valéry, par des traits civilisationnels communs : le droit romain, la démocratie athénienne, les valeurs du christianisme, auxquels s’ajoutent sans conteste l’humanisme et l’économie de marché mondialisée. Un autre écueil vient d’ailleurs brouiller les cartes (au sens propre comme au figuré) : l’Europe est une définition incertaine, aux frontières changeantes, allant pour certains de l’Atlantique à l’Oural, et tour à tour confondue avec un continent, un espace économique (Schengen), une zone monétaire (euro), une organisation de coopération (OSCE) ou encore des institutions politiques, sportives ou culturelles (Union, Conseil, UEFA, Eurovision…).

L’Atlas de l’Europe ne remonte pas seulement aux fondements d’une Communauté marquée par les guerres et des conceptions telles que l’État ou la nation (trois éléments sur lesquels les auteurs reviennent abondamment). L’ouvrage pose la question de l’élargissement à l’heure où les Britanniques ont fait machine arrière et où les candidats – de la Turquie à l’Albanie en passant par la Serbie – suscitent plus d’interrogations que d’enthousiasme. L’Atlas s’intéresse aux fonds de solidarité (dont profite amplement la Pologne, qui vient pourtant de proclamer la supériorité de sa Constitution sur les textes européens…) et évoque la mutualisation des politiques budgétaires au sein de l’Union. Il prend acte de l’échec d’une défense commune et des difficultés éprouvées face aux migrations, mais souligne les réussites dont peut se prévaloir la Communauté : Erasmus et la mobilité scolaire, les échanges commerciaux (l’Europe représente 40% du commerce mondial des marchandises), la création de « licornes » telles que Spotify ou BlaBlaCar, la norme comme vecteur de soft power… Trois sujets abordés dans l’ouvrage, aux résonances multiples, auraient probablement mérité une analyse plus étayée : le déficit démocratique (dont l’Eurogroupe a été le symbole durant la crise des pays méridionaux), la marée montante des populismes (liée à la précédente question, avec tous les exemples idéologiques et électoraux adjacents) et les nationalismes régionaux, mus par des considérations plurielles, de la Catalogne à la Flandre en passant par l’Écosse.

La dernière partie de cet Atlas de l’Europe, intitulée « Géopolitique des territoires », traite de la Méditerranée, de l’espace baltique, de la Russie, du Caucase, des Balkans, de la Turquie ou encore de Chypre. Sous tension, parfois divisés, souvent porteurs de significations et d’aspirations diverses, ces territoires se caractérisent par les défis qu’ils posent à l’Union européenne. La Crimée en est peut-être l’exemple le plus édifiant, mais il ne doit cependant pas masquer les craintes qu’inspirent aux États baltes les tentations hégémoniques de Moscou, les problématiques liées aux migrations passant par la Mare Nostrum, le pivot géopolitique que constitue l’Ukraine, les nationalismes et conflits caucasiens ou encore le difficile équilibre inhérent à la candidature turque, entre un conservatisme autoritaire peu en phase avec l’Union et la nécessité de préserver des rapports constructifs avec un partenaire stratégique dans les approvisionnements énergétiques, la gestion des flux migratoires ou encore les questions militaires (notamment celles impliquant l’OTAN).

De par sa transversalité et sa relative exhaustivité, l’Atlas de l’Europe s’apparente à un outil idéal pour s’éveiller à l’histoire et aux enjeux actuels et futurs de l’Europe. À mettre entre toutes les mains.

Atlas de l’Europe, Frank Tétart et Pierre-Alexandre Mounier
Autrement, 96 pages, septembre 2021

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