Les éditions Autrement publient leur Atlas de l’Afrique. Les professeurs de géographie Géraud Magrin et Alain Dubresson y reviennent sur les spécificités d’un continent dont l’histoire a été caractérisée par le colonialisme, la pauvreté, l’instabilité politique et l’exploitation des ressources premières. Le cartographe Olivier Ninot les accompagne avec quelque 120 cartes et infographies claires et pertinentes.
Émigration, extrême pauvreté, famine et malnutrition, conflits régionaux, dictatures, coups d’État militaires, déploiements des forces onusiennes, exploitation des ressources naturelles, défis démographiques : dès lors qu’on aborde l’Afrique, il est difficile de s’extirper d’une grille de lecture catastrophiste, largement véhiculée par les reportages des journaux télévisés. Pourtant, comme le rappellent Géraud Magrin et Alain Dubresson, cette vision afro-pessimiste est parfois contrebalancée, sans plus de nuances, par un afro-optimisme porteur d’espoirs – aussitôt déçus. Le premier enseignement que l’on peut tirer de ce bel Atlas de l’Afrique tient précisément à ces présupposés : un réexamen étayé et pondéré est nécessaire pour portraiturer le continent noir au plus près de ses vulnérabilités, de ses promesses et de ses enjeux. Les auteurs s’y emploient avec succès, souvent en plans larges, plus rarement en plans serrés (Afrique du Sud, Centrafrique…).
S’il fallait poser un cadre général, on pourrait décrire l’Afrique comme suit : un continent de 30,3 millions de km2 (autant que la Chine, l’Inde, l’Europe occidentale et les États-Unis réunis !), comprenant 1,4 milliards d’habitants, 54 États, des milliers de langues, en voie d’urbanisation (de 14 % en 1950 à presque 44 % en 2020), confronté à des défis démographiques (on annonce 2,5 milliards d’Africains en 2050, avant une stabilisation entre 3,2 et 4,4 milliards en 2100), institutionnels, environnementaux et, bien entendu, économiques. Dans le détail, il faut noter la diversité d’un continent où l’essor du Maroc ou de l’Afrique du Sud a peu à voir avec la pauvreté endémique de la Somalie, de l’Érythrée ou de la République centrafricaine, où le taux d’alphabétisation des 15 ans et plus diffère fortement entre le Mali, le Niger ou le Tchad (moins de 50 %) et la Namibie, l’Afrique du Sud ou l’Algérie, bien plus avancés sur le sujet, et où le taux d’équipement en automobile dépasse en Afrique du Sud les 10%, alors qu’en Éthiopie, au Tchad ou en Angola, cette proportion demeure très résiduelle et inférieure à 1%.
Aux géants économiques que sont (dans les chiffres) le Nigéria, l’Égypte, l’Angola ou l’Afrique du Sud, les auteurs opposent une République centrafricaine ruinée, des tensions hydriques inévitables (le continent ne dispose que de 9 % des ressources mondiales en eau renouvelable et des batailles autour du Nil réapparaissent fréquemment), une économie largement dépendante de l’exportation des produits primaires agricoles et miniers peu ou pas transformés… Selon la Banque mondiale, l’Afrique a besoin d’un taux de croissance minimal de 3 % pour augmenter son revenu par habitant et d’un taux de 7 % pour réduire la pauvreté. Plans d’ajustement structurels, envois monétaires des migrants, taux de scolarisation en hausse en Afrique subsaharienne (d’un peu moins de 55 % en 1990 à plus de 80 % en 2020), quelque 500 grands projets de construction pour une valeur avoisinant 19 % du PIB continental : l’Afrique ne reste pas immobile, même si Géraud Magrin et Alain Dubresson ne cessent d’y apporter toutes les nuances nécessaires. Ainsi, selon la Banque africaine de développement, le continent aurait besoin de 130 à 170 milliards de dollars par an d’investissement dans les infrastructures pour soutenir la croissance économique et démographique.
Si l’Afrique reste un faible émetteur de gaz à effet de serre (3,9 % du CO2 émis dans le monde en 2020 pour 17 % de la population), le continent apparaît néanmoins très affecté par le réchauffement global en cours. La déforestation et la désertification impliquent ainsi de vastes zones sèches. Une muraille verte a été envisagée pour bloquer l’avancée du désert, un projet emblématique des écueils environnementaux, mais qui tarde à se concrétiser au-delà des quelques aménagements déjà réalisés. On s’attend par ailleurs à une explosion de la part des personnes sous-alimentées, puisque d’ici à 2030, une personne sur deux pourrait être concernée en Afrique. Ses richesses en matières premières (pétrole, gaz, charbon, fer, cuivre, or, uranium, manganèse, diamant, phosphate, bauxite, etc.) pourraient constituer une planche de salut mais les activités extractives ont par le passé engendré des conflits régionaux et les outils de régulation imaginés ont fait l’objet d’une mise en œuvre pour le moins inégale. Cela sans compter les problèmes de gouvernance, de traçabilité ou d’écologie. Ces dernières années, les situations conflictuelles en Angola, au Soudan ou au Congo ont fait plus d’un million de victimes, soit autant que le dernier génocide au Rwanda. Et quand il s’agit de déterminer les causes de ces violences, il est difficile de passer sous silence les frontières arbitraires tracées par les colons : 42 % sont des lignes droites ignorant les réalités géo-culturelles et 34 % se contentent d’épouser l’hydrographie… Les mobiles religieux, ethniques, liés aux ressources naturelles ou aux irrédentismes alimentent des formes d’instabilité dommageables au développement africain.
Didactique et passionnant, cet Atlas de l’Afrique se complète notamment d’un focus sur les nouveaux partenaires de l’Afrique (de la Chine à la Russie), sur les migrations inter et intra-continentales ou encore sur les processus d’intégration régionale. L’ouvrage permet de dépasser les lieux communs sur le continent noir et d’appréhender toutes les subtilités – économiques, démographiques, culturelles, géographiques – qui y ont cours. Un outil précieux, à mettre entre toutes les mains.
Atlas de l’Afrique, Géraud Magrin, Alain Dubresson et Olivier Ninot
Autrement, juin 2022, 96 pages