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« Atlas de la Shoah » : au cœur de l’entreprise génocidaire nazie

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Historien et responsable éditorial du Mémorial de la Shoah, Georges Bensoussan publie aux éditions Autrement, avec le précieux concours de Mélanie Marie, la seconde édition d’un Atlas de la Shoah particulièrement clair et précis.

Entre 1939 et 1945, l’Allemagne nazie et ses nations vassales ont massacré entre 5,9 et 6,2 millions de Juifs européens. L’historien Georges Bensoussan fait remonter les origines de cette entreprise génocidaire dans la culture européenne du XIXe siècle. Car si la Révolution française a émancipé les Juifs dès 1791, il s’est ensuivi une forme exacerbée de concurrence sociale, mêlée à une judéophobie chrétienne née de siècles d’enseignement de l’Église. L’antisémitisme – terme inventé en Allemagne en 1879 – connaît alors un essor sans précédent : la littérature dédiée abonde, le Juif est diabolisé, par exemple à travers des textes comme les Protocoles des Sages de Sion, et les mouvements politiques promouvant cette stigmatisation se structurent en pleine révolution urbaine, économique, sociale et industrielle. Dans un tel contexte, la haine des Juifs et la hantise d’un complot judaïque apparaissent comme une réponse commode au désarroi du monde moderne. Et parallèlement à ces faits, les pogroms se multiplient en Europe orientale : la Lituanie, la Lettonie, la Pologne, la Biélorussie ou encore l’Ukraine sont concernées.

Comme le rappelle avec à-propos Georges Bensoussan, l’antisémitisme au XXe siècle est loin d’être le seul fait du troisième Reich. On compte ainsi parmi les mouvements antisémites européens les militants nationalistes clandestins des pays baltes, l’Action française et le PPF, les Oustachis en Croatie, les Endeks en Pologne et, bien entendu, le NSDAP en Allemagne. Là-bas, la montée du nazisme s’opère sur fond de crise sociale à partir du début des années 1930. En juillet 1932, les suffrages récoltés par le parti d’Adolf Hitler atteignent des proportions comprises entre 20 et 51% selon les régions. Entre 1933 et 1939, plus de 60% des Juifs d’Allemagne quittent le pays. Et en août 1939, le système concentrationnaire allemand rassemble déjà 21 000 détenus dans une dizaine de camps… L’Atlas de la Shoah permet de contextualiser, puis de déterminer de quelle manière les nazis se sont enferrés dans le pire génocide du XXe siècle. C’est une nation traumatisée par la défaite militaire de 1918, convaincue d’être à la fois élue et haïe, qui va céder à la persécution, puis à l’extermination des Juifs. Et ces derniers sont nombreux en Europe au moment où Hitler et ses troupes énoncent leurs ambitions hégémoniques : en 1939, le vieux continent rassemble en effet plus des deux tiers des 16 millions de Juifs.

Comment en est-on arrivé à la stigmatisation, la spoliation, l’enfermement et l’assassinat de millions de personnes sur le sol européen ? Cette question guide en réalité tout l’ouvrage de Georges Bensoussan. L’auteur explique par exemple que l’échec de la conférence qui se tient en juillet 1938 à Evian, à l’instigation du président américain Roosevelt, va conforter les nazis dans leurs politiques antisémites. À l’exception de la République Dominicaine, aucun État n’y exprime la volonté d’accueillir de nouveaux réfugiés juifs sur son territoire. Partant, les mesures d’exclusion vont progressivement se durcir. Sont tour à tour décrétés le boycott des magasins juifs, les autodafés d’ouvrages juifs en place publique, les lois de Nuremberg sur la protection du sang allemand, la fin des installations des médecins juifs, l’obligation de se faire tamponner la mention J sur sa pièce d’identité, l’interdiction d’exercer pour les avocats juifs, l’étoile jaune ou l’obligation de rassembler les Juifs dans des immeubles réservés. Il faut comprendre que le mythe mobilisateur judéophobe devient une politique en actes, que l’exclusion se mue en génocide. L’Allemagne crée des ghettos en Pologne (la zone occupée de l’ancienne Pologne comportait deux millions de Juifs), où les Juifs sont privés de toute communication, affamés et psychologiquement brisés. Pis, la fin de l’année 1941 voit Hitler prendre la décision d’exterminer systématiquement les Juifs d’Europe. Un massacre rendu possible au prix d’un conditionnement des élites nazies.

Pour Georges Bensoussan, octobre 1941 est le mois de la radicalisation. Les nazis passent du port de l’étoile jaune dans le Reich à la décision de construire le centre de mise à mort de Belzec et d’agrandir le camp de Birkenau à Auschwitz. Les frontières de l’Europe sont par ailleurs fermées aux Juifs. Le massacre systématique des Juifs de Pologne est réalisé en moins de dix-huit mois dans ce qu’il convient d’appeler des usines d’abattage humain. Durant l’été 1942 sont organisés en Europe occidentale (France, Pays-Bas et Belgique) le port obligatoire de l’étoile jaune, ainsi que les rafles et convois vers Auschwitz. Malgré une pénurie de main-d’oeuvre due au contexte militaire, Berlin décide qu’aucun travailleur juif ne doit être gardé dans le pays. 1942 est de toute évidence une année charnière : la situation militaire se détériore pour les Allemands, d’abord en Afrique du Nord puis en Union soviétique, et la moitié des victimes de la « Solution finale » sont assassinées cette année-là.

L’Atlas de la Shoah revient aussi sur les Einsatzgruppen (responsables d’environ un tiers du bilan de la Shoah), Auschwitz et ses déportations massives en provenance de toute l’Europe, les mesures de protection accordées aux Juifs au Danemark ou en Norvège, le régime de Vichy ou encore le centre d’internement de Gurs en France, au sein duquel ont transité entre octobre 1940 et novembre 1943 plus de 22 000 personnes (dont 17 000 Juifs). Georges Bensoussan rappelle qu’en Allemagne, la communauté juive était riche de près de douze milliards de marks en 1933, mais n’en possédait plus que cinq en 1938. Enfin, les spoliations à Paris en provenance des collections de la famille Rothschild, Kann ou David-Weill, les euphémismes nazis, l’effacement par les Allemands des traces du génocide, la diffusion de l’information parmi les ambassades ou à travers l’Église catholique, les migrations vers Israël et les États-Unis complètent, parmi beaucoup d’autres choses, un ouvrage dont le didactisme le dispute à l’exhaustivité.

Atlas de la Shoah, Georges Bensoussan
Autrement, juillet 2021, 96 pages

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