Ouvrage collectif placé sous la direction de Gilles Renouard, 25 ans de cinéma français à l’étranger remédie à l’un des angles morts du septième art : l’exportation des œuvres, son histoire, ses évolutions et ses tendances actuelles.
Si le cinéma apparaît comme l’une des choses les mieux partagées au monde, certains de ses aspects demeurent cependant sous les radars cinéphiliques : ses systèmes d’aides publiques et de production en constituent un exemple, ses paramètres à l’exportation un autre, plus édifiant encore. En se basant sur les données récoltées par Unifrance, 25 ans de cinéma français à l’étranger permet une approche pays par pays, éclairant la manière dont les films hexagonaux (tels que définis par le CNC, qui délivre un agrément à cette fin) s’insèrent sur les différents marchés internationaux. L’Allemagne est un espace capital pour les productions françaises, qui s’y exportent avec succès, aidés par une appétence réaffirmée pour la comédie, ainsi qu’une image idéalisée et romantique de la France. En Chine, Les Rivières pourpres a constitué un tournant, mais les résultats demeurent décevants, malgré la popularité relative de Luc Besson, maître incontesté du cinéma hexagonal à l’étranger. Aux États-Unis, les tendances se sont souvent inversées : Pathé et Gaumont y ont d’abord joué un rôle prédominant, avant que le cinéma artisanal se voit fragilisé par les guerres mondiales, puis que La Nouvelle vague forge une nouvelle appréhension de la scène cinématographique nationale. Depuis 1997, les films en langue anglaise se comportent mieux que les films d’auteur. Et ces dernières années, les sorties, en croissance, ont été inversement proportionnelles aux entrées, en berne. Ces éléments sont mis en avant parmi de nombreux autres, à l’occasion de chapitres étayés, remontant aux origines des exportations françaises sur tel ou tel territoire, notifiant les évolutions (réglementaires, économiques, artistiques, critiques, populaires) et les (im)pulsions d’œuvres ou de courants à travers le temps.
Mais l’ouvrage placé sous la direction de Gilles Renouard sonde aussi, dans son premier quart, la manière dont l’industrie cinématographique fut affectée par les évolutions technologiques. L’apparition de la télévision, du magnétoscope, de la vidéo à la demande, des séries, des plateformes, mais aussi de la 3D ou du numérique, ont eu une influence considérable sur les modes de consommation et l’économie des films. Ce cheminement est largement connu, il a été maintes fois verbalisé dans la littérature spécialisée, mais il constitue néanmoins une entrée en matière idoine lorsqu’il s’agit de radiographier le comportement des films français sur les marchés internationaux – eux-mêmes soumis à ces mêmes évolutions. Autre rappel salutaire : la captation de la majorité des entrées en salles par les blockbusters, quand les films plus modestes, indépendants et d’art et essai se partagent une part de marché plus ou moins constante, mais de plus en plus morcelée. La fréquentation des salles obscures se porte bien en France et en Angleterre, mais connaît un désintérêt relatif en Italie et en Allemagne. Et si l’Europe constitue le premier marché à l’exportation pour les productions françaises, des pays tels que le Brésil, la Colombie, la Chine, la Corée, l’Indonésie, la Russie, le Japon, la Malaisie ou le Mexique enregistrent une hausse de fréquentation à laquelle la cinquantaine de sociétés exportatrices françaises doit être attentive.
25 ans de cinéma français à l’étranger s’intéresse aussi à l’ouverture du marché saoudien, aux aides accordées aux productions coréennes ou canadiennes, aux opportunités indiennes et chinoises, appelées à supplanter celles en vigueur aux États-Unis, aux festivals et à leurs marchés adjacents. Il caractérise la modernité du cinéma français, laquelle passe par un renouvellement des cadres, la féminisation de la réalisation et une vraie diversité générationnelle. C’est dans ce contexte que, de 1995 à 2012, les productions nationales ont d’abord connu une hausse soutenue à l’exportation, puis en dents de scie. Six à quatorze productions dépassent chaque année le million d’entrées à l’étranger. Des locomotives comme Taken, Lucy ou Le Transporteur démontrent qu’un budget conséquent et la langue anglaise constituent sans réelle surprise des atouts majeurs. Ce qui n’empêche pas des comédies (Intouchables, Les Visiteurs, Bienvenue chez les Ch’tis…) de parcourir le monde. Mais d’autres cinéastes appariés au cinéma français rendent la lecture statistique encore plus complexe : il en va ainsi de Roman Polanski, Michael Haneke, les frères Dardenne ou encore Lars von Trier. Car l’agrément du CNC dépend de la nationalité des parties prenantes, mais aussi de la langue parlée, le tout étant pondéré selon des critères stricts. 25 ans de cinéma français à l’étranger permet d’en prendre la mesure, mais aussi de s’initier aux exportations sur des marchés structurés par des règles, des goûts et des habitudes divergeant souvent considérablement.
25 ans de cinéma français à l’étranger, ouvrage collectif sous la direction de Gilles Renouard
Hémisphères Éditions, décembre 2020, 442 pages