blade-runner-film-dossier-androide

Les robots et androïdes au cinéma : Blade Runner, Le Géant de fer, Her…

Le cinéma s’est souvent réapproprié la problématique concernant l’humain et ses limites. Les robots, les androïdes et autres intelligences artificielles sont autant de personnages qui ont permis à bien de cinéastes et scénaristes de se pencher sur l’avenir de l’humain, son rapport à la technologie et sa perpétuelle quête d’identité. Voici une petite liste non exhaustive de films traitant du sujet.

Blade Runner de Ridley Scott

Blade Runner met en scène des robots à l’apparence humaine, des « replicants ». En quelque sorte nos répliques perfectionnées qui remplacent nos sentiments humains. Rien de plus terrible. Pas de Wall E ou autres boites de conserves intelligentes mais des ennemis quasi invisibles auxquels on peut même fabriquer des souvenirs. Le film, sombre au possible, tente de résister à cette descente aux enfers, mais c’est sans compter l’ambiguïté du héros… Humain ? Pas humain ? La question persiste; et si elle ne comptait pas vraiment? Après tout, tant que le robot est attachant, l’humanité semble persister… ou pas ! La question essentielle est de savoir si les androïdes rêvent de moutons électriques ou de licornes, rien n’est moins sûr ! La notion même d’humanité est remise en cause par ce héros, celui-là même qui peut faire preuve d’empathie, sentiment hautement humaniste, sentiment donc que l’on n’offre pas aux replicants. Pour mieux s’en débarrasser peut-être et nier une fois de plus, notre humanité. Cercle vicieux qui semble ne jamais se refermer tant Rick Deckard restera à tout jamais un personnage inclassable, ni tout à fait dénué d’humanité, ni complètement humain. Une version « director’s cut », joue d’ailleurs à fond sur cette question, sur ce choix, un peu comme une toupie qui continue ou non à tourner et décide à tout jamais de la case dans laquelle enfermer notre héros. Qu’importe, pourvu qu’il survive et avec lui l’espoir que rien ne disparaîtra jamais tout à fait…

Chloé Margueritte

Le Géant de fer de Brad Bird

La première apparition du géant de fer se veut des plus iconiques : en pleine tempête, alors que la mer se déchaîne, le robot de l’espace vient imposer sa stature colossale au cœur du plan, surplombant tous les éléments environnants. Nous sommes aux États-Unis, dans le courant des années 1950, en pleine guerre froide. Les services secrets, personnifiés par l’agent Kent Mansley, enquêtent sur ce robot venu d’ailleurs. Partant, Le Géant de fer sera à la fois une ode à la tolérance et un conte politique. Le jeune Hogarth Hughes, orphelin de père et fasciné par l’étrange et le fantastique, va se lier d’amitié avec la machine qui, à son contact, va révéler toute sa dimension « humaine ». Pendant ce temps, les activités clandestines du gouvernement, puis la réaction des forces armées, vont témoigner du climat de paranoïa qui règne à cette époque aux États-Unis. La politique menée par les Américains est perçue, dans Le Géant de fer, comme autrement plus problématique que les « individus » sur lesquels elle se porte. Le robot extraterrestre, en plus d’être attachant et animé en deux temps (ce qui le distingue des autres personnages), agit ainsi comme un puissant révélateur. La petite ville de Rockwell, sise dans le Maine, est le théâtre de l’action et la chambre de résonance des phobies américaines. L’une des plus belles scènes du film montrera le géant de fer imiter les gestes de Hogarth : quand l’enfant ramasse un caillou, le robot se saisit sans la moindre peine… d’un volumineux rocher. La conception du géant et la manière dont il est inscrit dans le plan témoignent toutes deux d’une inventivité rare. Titanesque, doté de capacités auto-réparatrices, mais aussi d’un arsenal pléthorique prêt à défier l’armée la plus puissante du monde, il se nourrit d’acier, apparaît dans l’obscurité à travers un regard illuminé, répond à la violence – par exemple la vue d’une arme à feu – par une hystérie belliqueuse devenue incontrôlable. Il ne faut pas y voir le signe d’un danger quelconque, mais plutôt un avertissement de nature politique : on ne construit pas la paix en préparant la guerre, ni en projetant sa suspicion sur toute chose.

Jonathan Fanara

Metropolis de Fritz Lang

L’androïde de Metropolis, de Fritz Lang, est situé au point de rencontre de plusieurs intrigues. Une intrigue amoureuse d’abord, qui se noue entre Freder et Maria. Et une intrigue socio-politique : Freder, fils du dirigeant de Metropolis et membre de l’élite qui vit dans le calme et l’oisiveté dans la cité haute, découvre, grâce à son amour pour l’ouvrière Maria, la ville basse, où tente de survivre un prolétariat exploité. Le père de Freder demande donc la création d’un androïde épousant le visage et la silhouette de Maria et dont le but sera de faire taire les révoltes ouvrières.

Si Metropolis est sans doute un des films les plus importants et les plus célèbres de l’histoire cinématographique, la scène de la création de l’androïde en constitue le point d’orgue. Convoquant aussi bien la mythologie (avec Galatée) que la littérature (on y retrouve le Frankenstein de Mary Shelley et l’Eve Future de Villiers de l’Isle-Adam), l’androïde évoque la peur d’une société outrageusement technologique au sein d’un monde déshumanisé. Le costume a été créé par le sculpteur allemand Walter Schulze-Mittendorff et, selon l’actrice Brigitte Helm (qui tenait le double rôle de l’Androïde et de Maria), il était particulièrement désagréable à porter. Quant à l’influence de Metropolis, et de l’androïde en particulier, sur le cinéma mondial, elle sera considérable.

Hervé Aubert

Termanitor

En 1984 débarque sur les écrans un robot qui marque les esprits. Il répond au doux nom de T-800, alias le Terminator dans le film éponyme de James Cameron. L’idée de génie de Cameron est d’avoir proposé le rôle à Arnold Schwarzenegger. L’acteur austro-américain connu jusqu’alors pour son personnage de Conan le Cimmérien, apporte au T-800 sa silhouette massive et sa gueule pas commode. Il faut dire que le Terminator, comme son nom l’indique, n’est pas là pour plaisanter, quoique ! Le T-800 appartient à la catégorie des cyborgs, des robots à l’apparence humaine dotés d’un endosquelette métallique. Une vraie machine de guerre, à la force herculéenne, capable d’encaisser à bout portant les tirs d’armes à feu les plus diverses. Dans le premier opus, on découvre que le T-800 est une création de Skynet, une I.A qui a pris le dessus sur l’humanité en 2029. Renvoyé en 1984, sa mission consiste à éliminer une certaine Sarah Connor, mère du futur chef de la résistance. Quoi qu’il en coûte ! Avec sa détermination chevillée aux circuits et son masque d’impassibilité, le T-800 n’est pas sans rappeler le cyborg de Mondwest incarné dix ans plus tôt par Yul Brynner. Mais le Terminator c’est avant tout une figure originale qui va se démarquer par son look – lunettes noires, blouson de cuir et moto empruntés à des hipsters dans une scène d’anthologie – et un parfait équilibre entre la peur qu’il inspire et l’humour que suscite sa propre caricature. Dans l’épisode 2, face au polymorphe T-1000, le brave Terminator is back mais cette fois-ci du côté des humains. Une ambivalence qui lui permet de conforter définitivement sa place dans la pop culture. Hasta la vista, baby !

Serge Théloma

Her de Spike Jonze (Samantha)

Her de Spike Jonze met en scène l’amour entre une intelligence artificielle (Os) et un humain. Au delà de ce que cela occasionne en terme de questions sur l’amour, la dépendance affective et les sentiments humains, l’exercice de mise en scène est passionnant. Car Samantha, l’intelligence artificielle du film, n’apparait pas à l’écran : elle n’est qu’une voix qui transparait dans les oreilles de Theodore. Et quelle voix : celle de Scarlett Johansson. Sa voix suave et lancinante fait parfaitement la paire avec la réalisation proche du visage et des rictus de Joaquin Phoenix (Theodore). De cette volonté de resserrer à l’image cette relation, le spectateur est presque dans l’intimité même d’une relation qui nait devant ses yeux. Her nous interroge sur notre attachement à la technologie et surtout sur la tangibilité et l’aspect organique de l’amour. Comment vivre une relation? Comment la ressentir? Mais Samantha n’est pas un « objet » narratif, servant uniquement de réflexion et de caractérisation pour approfondir Théodore. Elle est autant un personnage principal, qui apprend d’elle même, qui apprend à concevoir ses émotions et ressentir des choses avec les autres (comme le sexe par exemple). Ce qui rend d’autant plus fort le récit de Her, outre ce double récit initiatique sentimental, et cette finesse émotionnelle, c’est le rapport de Samantha au spectateur: celui de Scarlett Johansson au spectateur. En entendant cette voix, nous essayons d’imaginer les traits, le visage même, les formes que pourrait prendre cet Os. Avec des films comme Her ou même Under the Skin sorti la même année, l’actrice, en participant à ce genre de projet où elle se redéfinit, se réapproprie sa figure de « sex symbol » pour évaluer notre rapport aux images. 

Sébastien Guilhermet

Alien, le huitième passager de Ridley Scott (Ash)

Dans l’espace, personne ne vous entendra crier. Alien, 1979. Derrière la plus belle punchline de l’histoire du cinéma de genre, on aurait pu rajouter que personne ne viendra vous chercher de toute façon. Pourquoi crier, d’abord? Parce que vous venez de débarquer sur une planète isolée, réveillé avec votre équipage d’un sommeil cryogénique, en plein hyperespace? Eh non, vous n’êtes pas sur Terre, « Maman » l’Intelligence artificielle gérant tous les systèmes du vaisseau doit obéir au protocole d’urgence. Quand il y a un signal de détresse, on y répond. Dans l’équipage, il y a des soudards, un capitaine, des techniciens et puis, il y a Ash. Ash, le responsable médical, plein de sang froid, méticuleux comme un hobbit : oui, il est interprété par Ian Holm. Ash, le médecin qui outrepasse pourtant les protocoles médicaux pour accepter de laisser entrer un alien envahissant le visage d’un de ses compagnons d’équipage. Dans n’importe quelle mauvaise série B, Ash serait juste un personnage mal écrit, incohérent. Mais il y a un petit détail d’écriture, presque anodin qui dessine les chefs d’oeuvre : Ash veut l’Alien, il admire sa pureté, il est en service commandé. Bidon, le signal de détresse. Il a agi comme un droïde, parce qu’il en est un et rien ne le fera dévier ou douter de sa mission. Découvrir sa nature ne gâche rien au film pour ceux qui le découvriront aujourd’hui. Mieux, cette information aidera à gagner le plaisir de l’observation de cet homme qu’on croyait fermé et rigoriste, en fait cynique et déterminé. Tous les indices étaient présents : ces regards dans le vide d’un acteur investi, tirant vers le haut une des interprétations les plus dures qui soient pour un comédien, jouer ce qui ne se joue pas. Le méticuleux succède au spectaculaire, celui de la mort de l’androïde, Ash saignant du lait que Ian Holm ne digérait pas : l’acteur est intolérant au lactose. L’interprète comme le personnage se sont rejoints ici, dans cette scène écoeurante, où un robot a fini son existence dans le giron bien organique qui fait les humains, les vaches et les aliens. Et Ash s’en est allé, aspiré…

Romaric Jouan

Wall-E d’Andrew Stanton

C’est à son projet le plus ambitieux et le plus risqué que Pixar donne vie, en 2008. On connaissait le talent du studio d’animation américain à s’adresser à un public adulte, mais on ne s’attendait pas à le voir aller aussi loin. Car quel héros improbable que ce Waste Allocation Load Lifter: Earth-Class ! Un robot qui ne parle pas, qui répond à une identité sérielle qui annule son individualité (« Wall-E » n’est que le nom d’un type de robot, il est simplement le dernier du genre encore en état de fonctionnement), n’a pour objectif que celui pour lequel il a été programmé et, cerise sur le gâteau, est tout seul (l’humanité, qui a transformé la Terre en dépotoir inhabitable, a dû être évacuée) ! Pixar prouve pourtant son génie inouï en faisant de ce robot un être touchant, drôle et plein de poésie. Enthousiasmé par les objets qu’il trouve, passionné par ses missions de compactage de déchets, il finit même par découvrir l’amour lorsque la sonde robotisée EVE (Extraterrestrial Vegetation Evaluator) est envoyée sur Terre. Le nom de cette dernière résume le propos original et audacieux du film : ce petit robot qui semble dépourvu de personnalité est l’espoir d’une renaissance et d’un réenchantement d’un monde que l’Homme a profané. A travers le personnage de Wall-E, Pixar évoque des thèmes essentiels comme la surconsommation, la protection de l’environnement, le traitement des déchets, la mondialisation (l’entreprise Buy-N-Large joue le rôle d’un gouvernement globalisé, soit l’aboutissement monstrueux de notre libéralisme sauvage) et l’avenir de l’humanité. Et tout cela pratiquement sans dialogues ! N’en jetez plus : nous sommes convaincus que derrière la carcasse métallique et les cartes à puce de Wall-E se cache bel et bien une âme.

Thierry Dossogne

Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault

Malgré son titre, Le Roi et l’Oiseau est peut-être avant tout marquant pour un troisième personnage important : l’Automate, un robot géant créé par le roi pour écraser une révolte populaire, mais qui se retournera finalement contre lui pour démolir son palais et tous ses symboles de pouvoir. Avec ses membres mal proportionnés, l’Automate est un reflet à grande échelle du roi Charles V et III font VIII et VIII font XVI : ses déplacements sont gauches, ses yeux vides, son armure métallique rappelle la froideur silencieuse du monarque, mais l’orchestre jouant sous la taule trahit aussi la sa grande fragilité. L’Automate est aussi, et surtout, une allégorie de l’utilisation de la technologie à des fins guerrières, de l’ambivalence d’une société du progrès qui peut mener tout aussi bien à la destruction qu’à l’émancipation. En ce sens, il est difficile de déterminer quelle valeur donner à ce personnage : car c’est un champ de ruines qu’il laisse derrière lui, bien que son dernier geste soit celui de sauver un oisillon prisonnier de sa cage. Il est à la fois le main armée du roi, mais aussi le dernier personnage à faire preuve d’« humanité », sans cynisme ni intérêt. Il permet au prolétariat du film de triompher, de renverser le roi, mais à quel prix ? Dans la paume de sa main se joue l’avenir du monde, avec d’un côté le pouvoir monarchique, de l’autre l’anarchisme de l’oiseau, et dans un dernier recoin l’amour de deux innocents. Son arrivée dans le film marque indéniablement la fin d’un monde, créant une cassure dans le rythme du film et envoyant tous les autres personnages principaux à l’arrière-plan. Un personnage qui marquera durablement l’histoire du cinéma, jusqu’à influencer Miyazaki dans Le Château dans le ciel ou encore Brad Bird pour son célèbre Géant de fer.

Jules Chambry

2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (Hal 9000)

« J’ai peur… j’ai peur Dave » Qu’arrive-t-il quand on donne à une machine dotée d’un ego perfectionniste, la possibilité de ressentir ? Le pouvoir absolu ?
A se prendre pour Dieu, en constituant un ordinateur aussi sophistiqué que Hal, l’Homme ne s’attendait pas à un tel revers de médaille. Hal a hérité de cet orgueil, se caractérisant de parfait, en tout point, auprès de l’humanité. Il prouve d’ailleurs sa supériorité lors d’une partie d’échec ; non pas en battant son adversaire en trois coups, mais en testant la capacité de l’astronaute à reconnaître une erreur. Erreur que l’I.A simule en se trompant sur la dénomination d’une case.
On peut se demander si la scène n’offrait pas les prémices d’une plus grosse défaillance quelques heures plus tard. Mais Hal est fin stratège, et Kubrick aussi. Et pour un ordinateur doté d’une intelligence aussi supérieure, -parfaite, on doit surtout se demander si il ne divulguait pas, à travers cette manche, l’étendue de son plan. Après tout, les humains sont faibles et dupes ; il doit les éliminer afin de mener à bien la mission.
Plus tard, lors du retour de force du dernier combattant, le comportement de Hal évoluera. Terrifié à l’idée de ne plus être, il implorera. Condamné à disparaître, il chantera. Mais peut-on parler d’évolution lorsqu’il s’agit d’un ordinateur ? Si oui, comment différencier l’Humain de la machine ?
Bien que l’Homme soit en finalité vainqueur, le résultat n’en reste pas moins inquiétant. Car à travers cette odyssée, une chose retiendra notre attention : le seul membre de l’équipage à éprouver des émotions est une intelligence artificielle.
Echec et mat.
Charlotte Quenardel

Alien, le huitième passager de Ridley Scott (Mother)

Disons-le d’emblée : dans Alien, le huitième passager, « Mother » est reléguée au second plan par le xénomorphe ou même l’androïde Ash. Ce superordinateur est pourtant un maillon essentiel du voyage spatial : il gère le vaisseau, interagit avec ses passagers et présente des capacités de communication et de planification qui surpassent de loin les intelligences artificielles modernes les plus développées. Au regard d’un androïde tels qu’Ash, « Mother » apparaît suranné, dégradé, froid et mathématique. Dans son film, Ridley Scott présente en fait deux machines très distinctes l’une de l’autre : Ash est doté d’une apparence anthropomorphique et d’un potentiel émotionnel qui le font passer pour humain, tandis que « Mother », bien que douée en linguistique, demeure un ordinateur à l’ancienne, dont les sollicitations induisent un protocole spécifique (dans une sorte de bulle technologique) et une interface humain/écran classique. « Mother » est un superviseur qui augmente les facultés d’appréhension humaines, un HAL 9000 diminué, une entité mystérieuse, rétrofuturiste, à laquelle on prêterait volontiers des qualités d’omniscience alors que ses limites sont pourtant clairement identifiables (elle est incapable de quantifier les chances de survie de l’équipage face au xénomorphe). Alien, le huitième passager est passionnant en ce sens qu’il est porteur d’une dualité technologique (« Mother »/Ash) et de la mise en scène différenciée qui l’accompagne. Deux visions antagoniques de la robotique, auxquelles « Mother » amène elle-même sa propre déclinaison : être à l’apogée de la communication (selon les critères de Turing) tout en restant enfermée dans une esthétique désuète.
Jonathan Fanara