Premier épisode de la trilogie des appartements maudits, Répulsion fait l’objet d’une nouvelle restauration 2K et d’une édition prestige de la part de Carlotta Films. De quoi satisfaire tous ceux qui voudraient se replonger dans la riche filmographie de Roman Polanski.
Dans une séquence finale semblable à celle de Shining, Roman Polanski effectue un double retour en arrière : vers l’aube de Répulsion et cet œil symbolisant une psyché meurtrie, vers l’adolescence de Carol, où quelque chose de grinçant semblait déjà en suspens. D’un bout à l’autre de ces jalons programmatiques, il y a le temps qui passe : un lapin dépecé en lente décomposition, une pomme de terre qui germe, un appartement hors de la réalité, dont la plasticité géométrique et les fissures naissantes deviennent respectivement l’antre et le signe annonciateur d’une démence que l’on devine inexpiable.
D’une beauté glaciale et impassible, Catherine Deneuve paraît ailleurs. Confuse. Elle aussi hors du temps, qui ne se rappelle d’ailleurs à elle que lorsque sa supérieure la sermonne pour ses absences intempestives. Quand elle marche dans les rues londoniennes, elle est caractérisée par la passivité, et presque dérangée par un environnement qui l’assaille autant qu’il l’entoure. Au travail, on l’interpelle sans cesse : « Arrête de rêvasser. » Dans l’appartement qu’elle partage avec sa sœur Helen, elle arbore ce même regard perdu, quand elle ne scrute pas les ombres qui noircissent le plafond. Roman Polanski va lui aussi jouer avec le temps et s’appesantir sur plusieurs objets-symboles associés à cette héroïne mue par des perceptions altérées : un rasoir, une pince à manucure, une porte (qu’on force, qu’on éclabousse de sang), un judas (à travers lequel on peut voir – de manière dégradée – sans être vu)…
Ce n’est pas un hasard si le générique ouvrant Répulsion remonte l’image de manière oblique, dans une sorte de désordre organisé. Roman Polanski se plaît à user d’allégories visuelles pour faire état de la psyché de son héroïne. Apathique, fascinée par son reflet déformé dans une bouilloire, sujette aux cauchemars et aux hallucinations, elle craint d’abord de se retrouver seule dans son appartement, suite au départ en vacances de sa sœur, avant de se retrancher elle-même du monde extérieur et de se laisser envahir par la folie qui couvait jusque-là. Répulsion ne se contente toutefois pas de symboles figuratifs dans son énonciation de l’état mental de Carol. Le spectateur voit tous ses sens sollicités : les couloirs s’allongent, les murs reculent ou se rapprochent, le temps se dilate, la matière et les visages se déforment, les crimes s’observent en vision subjective, les bruits percutent, éclatent, se perpétuent ou se meurent.
En initiant sa trilogie des appartements maudits, Roman Polanski s’appuie sur un cinéma d’atmosphère. Tout, en effet, y semble en apesanteur, fantasmagorique, en ce y compris certains mouvements de caméra, ou ces mains s’extirpant des murs – plan hommage à Jean Cocteau s’il en est. Dans un joli noir et blanc aux ombres parfois épaisses, en usant de plusieurs focales pour redéfinir l’espace et les corps, le cinéaste franco-polonais porte l’angoisse au sein d’un appartement tout ce qu’il y a d’ordinaire. Une baignoire qui se remplit d’eau et finit par déborder, un téléphone qui retentit dans l’indifférence, une fissure qui lézarde soudainement un mur, une Catherine Deneuve d’une étrange neutralité, qui « n’a pas bonne mine » : tout contribue à napper Répulsion d’un effroi diffus, bien plus psychologique qu’horrifique.
Le long métrage de Roman Polanski lie aux fêlures de Carol celles d’une société peu engageante. L’insécurité psychique du personnage se double en effet d’une insécurité bien palpable, celle que fait par exemple peser sur elle un propriétaire peu scrupuleux. Ce n’est peut-être pas un hasard si le seul enjouement mémorable du film est provoqué par l’évocation de La Ruée vers l’or, de Charlie Chaplin. La réalité de Carol est cruelle (plusieurs allusions au viol en attestent) ; la légèreté est alors à chercher dans la fiction (même si cette dernière est elle-même gangrénée par des fantasmes douloureux). Le cadre le plus anodin qui soit, un appartement, fait l’objet d’une contemplation psychopathologique. À l’inverse, le cinéma est scruté d’un œil amusé et le burlesque y affleure. Mais après tout, peut-être nous perdons-nous en conjectures…
TECHNIQUE & BONUS
Comment souvent chez Carlotta, la dimension technique du disque est une réelle satisfaction. Image stable et propre, rendu sonore attrayant, bonne gestion du grain, contraste profond, peu de choses peuvent être reprochées à cette édition. Cette dernière, qualifiée de prestige, se distingue d’ailleurs par le nombre substantiel de ses suppléments : les commentaires audio de Roman Polanski et Catherine Deneuve, des photos, une affiche, un fac-similé d’un extrait du scénario, deux courts-métrages, la bande-annonce originale…
Il faut en plus y ajouter deux documents plutôt intéressants, Grand écran : Roman Polanski et Un film d’horreur britannique, chacun dépassant les vingt minutes. Dans le premier, on suit Roman Polanski et Catherine Deneuve pendant le tournage, en plein travail. Le réalisateur franco-polonais explique notamment qu’il aurait imaginé tirer son film davantage vers l’épouvante. Sa manière de travailler, sa direction d’acteurs ou la facture réaliste de son œuvre sont également évoquées. Dans le second document, on revient sur l’estimation difficile du budget, la production inattendue du film, l’attention accordée à la texture et aux ombres, la souplesse de Catherine Deneuve sur le plateau, les effets spéciaux (avec une histoire étonnante de latex) ou encore le choix des angles de vue…
BD 50 • MASTER HAUTE DÉFINITION • 1080/23.98p • ENCODAGE AVC
Version Originale / Version Française DTS-HD Master Audio 1.0 • Sous-Titres Français Format 1.66 respecté • Noir & Blanc • Durée du Film : 105 mn
DVD 9 • NOUVEAU MASTER RESTAURÉ • PAL • ENCODAGE MPEG-2
Version Originale / Version Française Dolby Digital 1.0 • Sous-Titres Français
Format 1.66 respecté • 16/9 compatible 4/3 • Noir & Blanc • Durée du Film : 101 mn